Albigeois, France

ALBIGENES, nom générique, dérivant de la ville d’Albi, appliqué de manière lâche à un certain nombre de sectes hérétiques chrétiennes qui se sont développées en Provence et dans le sud de la France au XIIe siècle, le terme étant utilisé en particulier en relation avec le catharisme. La connaissance de leurs doctrines précises est vague et provient principalement des vilifications de leurs adversaires catholiques romains, renforcées en partie par les informations contenues dans les procès de l’Inquisition. L’Église catholique romaine soupçonnait que certaines de ces hérésies étaient délibérément stimulées par les Juifs. Il n’en est pas question, d’autant que dans la plupart des cas, les doctrines sectaires comportaient des éléments dualistes encore plus éloignés du judaïsme que ceux du christianisme normatif. D’autre part, certains des corps alliés, tels que les « Passagi » et les « Circumcisi », avaient une base vétérotestamentaire et peuvent être qualifiés de sectes judaïsantes (voir *Judaïsants ). Certains des autres sectaires ont apparemment aussi étudié l’hébreu afin de mieux comprendre l’Ancien Testament, et les relations personnelles entre Albigeois et Juifs semblent avoir été relativement cordiales, ce fait lui-même ajoutant aux soupçons et aux animosités de l’église. Les cathares accusaient l’Église catholique romaine de corruption, de faste rituel et de superficialité. Voyant en eux un défi à son pouvoir, l’Église les condamnait en retour comme manichéens et judaïsants. Cependant, bien que les cathares aient rejeté le culte des images, maintenu certaines interdictions sur la consommation de viande et nié que Jésus était Dieu, leur théologie et leur rituel contenaient une variété d’éléments contradictoires. En fait, leur attitude à l’égard du judaïsme et de l’Ancien Testament était clairement hostile, comme en témoignent les documents de l’Inquisition et les chroniques contemporaines qui ne peuvent être soupçonnées d’un parti pris catharistique. La loi juive était rejetée par les cathares comme étant mauvaise, parce que le « diable en forme de veau » (diabolus in forma vituli) la leur avait donnée. Le judaïsme dans son ensemble était tenu pour une émanation du Dieu matériel, visible, et par conséquent mauvais.

L’hostilité cathariste envers le judaïsme sur le plan théologique, cependant, ne se reflétait pas sur le plan social et culturel. Les Juifs étaient tenus en haute estime dans le Midi français, où leur statut était probablement le meilleur d’Europe. Des villes comme Albi, Béziers, Carcassonne, Toulouse, Lunel, Montpellier, Marseille, Beaucaire et Nîmes, qui furent les plus touchées par l’hérésie, comptaient également d’importantes populations juives. Parallèlement, les souverains du Midi favorisent ouvertement les Albigeois et les Juifs, qu’ils nomment à des fonctions importantes dans l’administration fiscale. Roger II, de Béziers, probablement cathare lui-même, nomma par intermittence des Juifs au poste de bailli, une tradition apparemment perpétuée par son fils Raymond-Roger. Le comte Raymond VI de Toulouse, protecteur de la poésie provençale et tolérant à l’égard du catharisme, favorisait généralement les Juifs et employait Abba Mari b. Isaac de Saint-Gilles comme l’un de ses fonctionnaires. En accordant des privilèges aux juifs, les princes étaient motivés par des raisons plus puissantes que la simple sympathie. En raison de leur activité commerciale, les juifs représentent souvent une source de revenus considérable et certains princes ont des dettes envers eux. Plus généralement, le degré d’indépendance de pensée en Provence et la bonne volonté manifestée les uns envers les autres par les chrétiens et les juifs s’expliquent probablement par le fait que toute la région était alors exposée à de multiples influences extérieures qui en faisaient un îlot de civilisation et de tolérance, éloigné de l’obscurantisme médiéval.

La situation qui obtenait ainsi en Provence une prospérité juive en expansion au milieu de l’hérésie était doublement intolérable à l’église établie. En 1195, au concile de Montpellier, il fut décrété que quiconque permettrait aux juifs (ou aux musulmans) d’exercer des fonctions publiques serait excommunié. En 1209, le pape *Innocent III (1198-1216) ordonne aux cisterciens de prêcher une croisade contre les Albigeois (janvier 1209). Une armée de moines, de fanatiques et de nobles marcha vers le sud de la France. Elle est dirigée par Arnold de Cîteaux, le cardinal Bertrand et le rapace Simon de Montfort, le roi de France Philippe II ayant refusé de prendre la tête de l’entreprise. La première phase de l’opération se termine par la capitulation de Raymond VI de Toulouse. En juin 1209, à Montélimar, lui et ses nobles s’engagent par serment « à écarter à jamais les juifs de toute administration et fonction, à ne jamais les rétablir, ni à accepter d’autres juifs pour quelque fonction que ce soit… ni à utiliser leur conseil contre les chrétiens, ni… à leur permettre d’employer des chrétiens, hommes ou femmes, dans leurs maisons comme domestiques. » Les croisés prennent ensuite Béziers et Carcassonne (juillet/août 1209), défendues par le jeune Raymond-Roger. Vingt mille chrétiens et 200 juifs sont massacrés à Béziers. Beaucoup d’autres sont emmenés comme captifs. En septembre 1209, le concile d’Avignon décrète qu' »il faut empêcher les juifs de pratiquer l’usure en excommuniant les chrétiens qui entrent en relation commerciale avec eux… et obliger les juifs à remettre ce qu’ils ont gagné par l’usure. Nous leur interdisons également… d’avoir la prétention de travailler en public les dimanches ou les jours de fête. Ils ne doivent pas non plus manger de la viande les jours d’abstinence. » Sept ans plus tard, l’épouse de Simon de Montfort imite son consort en faisant arrêter tous les juifs de Toulouse. Les enfants mineurs sont rapidement baptisés, mais les adultes résistent à la conversion et finissent par être libérés.

La croisade des Albigeois prend fin en 1229 avec le traité de Paris, qui détruit le pouvoir des princes du sud. Les derniers adeptes du catharisme sont laissés aux bons soins de l’Inquisition, qui leur porte un dernier coup en installant un bûcher collectif à Montségur (1245).

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