PHARMACOLOGIE CLINIQUE
Mécanisme d’action
La bivalirudine inhibe directement la thrombine en se liant spécifiquement à la fois au site catalytique et à l’exosite de liaison aux anions de la thrombine circulante et liée aux caillots. La thrombine est une sérine protéinase qui joue un rôle central dans le processus thrombotique, en clivant le fibrinogène en monomères de fibrine et en activant le facteur XIII en facteur XIIIa, ce qui permet à la fibrine de développer une structure réticulée de manière covalente qui stabilise le thrombus. La thrombine active également les facteurs V et VIII, ce qui favorise la thrombolyse, et active les plaquettes, stimulant l’agrégation et la libération de granules. La liaison de labivalirudine à la thrombine est réversible car la thrombine clive lentement la liaison bivalirudine-Arg3-Pro4,ce qui entraîne la récupération des fonctions du site actif de la thrombine.
Dans des études in vitro, la bivalirudine a inhibé la thrombine soluble (libre) et liée au caillot, n’a pas été neutralisée par les produits de la réaction de libération plaquettaire et a prolongé le temps de thromboplastine partielle activée (TCA), le temps de thrombine (TT) et le temps de prothrombine (TP) du plasma humain normal de manière dépendante de la concentration. La pertinence clinique de ces résultats n’est pas connue.
Pharmacodynamique
Chez des volontaires sains et des patients (avec une occlusion de ≥70% des vaisseaux subissant une PTCA de routine), la bivalirudinea présenté une activité anticoagulante dose et concentration-dépendante, mise en évidence par la prolongation du TCA, de l’aPTT, du PT et du TT. L’administration intraveineuse de bivalirudine produit un effet anticoagulant immédiat. Les temps de coagulation reviennent aux valeurs de base environ 1 heure après l’arrêt de l’administration de bivalirudine.
Chez 291 patients présentant une occlusion vasculaire ≥70% subissant une ACTP de routine, une corrélation positive a été observée entre la dose de bivalirudine et la proportion de patients atteignant des valeurs d’ACT de 300sec ou 350 sec. A une dose de bivalirudine de 1 mg/kg IV en bolus plus 2,5 mg/kg/h en perfusion IV pendant 4 heures,suivie de 0,2 mg/kg/h, tous les patients ont atteint des valeurs maximales d’ACT >300 sec.
Pharmacocinétique
La bivalirudine présente une pharmacocinétique linéaire après administration IV à des patients subissant une PTCA.Chez ces patients, une concentration moyenne de bivalirudine à l’état d’équilibre de 12,3 ± 1,7 mcg/mL est atteinte après un bolus IV de 1 mg/kg et une perfusion IV de 2,5 mg/kg/h pendant 4 heures. La bivalirudine ne se lie pas aux protéines plasmatiques (autres que la thrombine) ni aux globules rouges. La bivalirudine est éliminée du plasma par une combinaison de mécanismes rénaux et de clivage protéolytique, avec une demi-vie de 25 minutes chez les patients ayant une fonction rénale normale.
L’élimination de la bivalirudine a été étudiée chez des patients ayant subi une ACTP et présentant une insuffisance rénale légère, modérée et sévère. L’élimination du médicament était liée au débit de filtration glomérulaire (DFG). La clairance corporelle totale était similaire chez les patients présentant une fonction rénale normale et une insuffisance rénale légère (60 à 89 ml/min).La clairance était réduite chez les patients présentant une insuffisance rénale modérée et sévère et chez les patients dépendants de la dialyse (voir tableau 6 pour les paramètres pharmacocinétiques).
La bivalirudine est hémodialysable, avec environ 25% éliminés par hémodialyse.
Tableau 6 : Paramètres pharmacocinétiques chez les patients atteints d’insuffisance rénale*
Fonction rénale (GFR, mL/min) |
Clearance(mL/min/kg) | Demi-vie (min) |
Fonction rénale normale (≥90 mL/min) | 3.4 | 25 |
Infirmité rénale légère (60 à 89 mL/min) | 3,4 | 22 |
Infirmité rénale modérée (30 à 59 mL/min) | 2.7 | 34 |
Insuffisance rénale sévère (10 à 29 mL/min) | 2,8 | 57 |
Patients dépendants de la dialyse (hors dialyse) | 1.0 | 3,5 heures |
*L’ACT doit être surveillé chez les patients insuffisants rénaux. |
Etudes cliniques
PCI/PTCA
La bivalirudine a été évaluée dans cinq essais de cardiologie interventionnelle randomisés et contrôlés portant sur11 422 patients. Des endoprothèses ont été déployées chez 6 062 des patients de ces essais – principalement dans les essais réalisés depuis 1995. Une angioplastie coronaire transluminale percutanée, une athérectomie ou d’autres procédures ont été réalisées chez les autres patients.
EssaiREPLACE-2
Il s’agissait d’une étude randomisée, en double aveugle et multicentrique rapportant 6 002 patients (en intention de traiter) subissant une ICP. Les patients ont été randomisés pour recevoir un traitement par bivalirudine avec l’utilisation « provisoire » d’un inhibiteur de la glycoprotéine IIb/IIIa (GPI) ou par héparine avec l’utilisation prévue d’un GPI. Les GPI ont été ajoutés sur une base « provisoire » aux patients qui ont été randomisés à la bivalirudine dans les circonstances suivantes :
- diminution du flux TIMI (0 à 2) ou reflux lent;
- dissection avec diminution du flux;
- thrombus nouveau ou suspecté;
- sténose résiduelle persistante ;
- embolisation distale;
- stenting non planifié;
- stenting sous-optimal;
- fermeture de branche latérale;
- fermeture interrompue ; instabilité clinique ; et
- ischémie prolongée.
Pendant l’étude, une ou plusieurs de ces circonstances sont survenues chez 10,9% des patients du bras bivalirudineavec GPI provisoire. Des GPI ont été administrés à 7,2 % des patients du groupe bivalirudine avec GPI provisoire (66,8 % des patients éligibles).
L’âge des patients variait de 25 à 95 ans (médiane, 63) ; le poids variait de 35 à 199 kg (médiane 85,5) ; 74,4 % étaient des hommes et 25,6 % des femmes. Les indications de l’ICP comprenaient un angor instable (35 % des patients), un infarctus du myocarde dans les 7 jours précédant l’intervention (8 % des patients), un angor stable (25 %), une épreuve d’effort ischémique positive (24 %) et d’autres indications non spécifiées (8 %). Les stents ont été déployés chez85% des patients. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des patients ont reçu de l’aspirine et 86 % ont reçu des thiénopyridines avant le traitement de l’étude.
La bivalirudine a été administrée sous forme d’un bolus de 0,75 mg/kg suivi d’une perfusion de 1,75 mg/kg/h pendant toute la durée de la procédure. Le temps de coagulation activé (ACT – mesuré par un appareil Hemochron®) a été mesuré 5 min après le premier bolus du médicament étudié. Si le TCA était < 225 secondes, un bolus supplémentaire de 0,3 mg/kg était administré. A la discrétion de l’investigateur, la perfusion pouvait être poursuivie après l’intervention jusqu’à 4 heures. La durée médiane de la perfusion était de 44 minutes. L’héparine a été administrée en bolus de 65 U/kg. Le temps de coagulation activé (ACT – mesuré par un appareil Hemochron®) a été mesuré 5 minutes après le premier bolus du médicament étudié. Si le TCA était < 225 secondes, un bolus supplémentaire de 20 unités/kg était administré. Les IPG (abciximab ou eptifibatide) ont été administrés conformément aux instructions du fabricant. Les deux groupes randomisés pouvaient recevoir des traitements « provisoires » pendant l’ICP à la discrétion de l’investigateur, mais dans des conditions de double aveugle. Un traitement « provisoire » par GPI a été demandé chez 5,2% des patients randomisés à l’héparine plus GPI (ils ont reçu un placebo) et chez 7,2% des patients randomisés à la bivalirudine avec GPI provisoire (ils ont reçu de l’abciximab ou de l’eptifibatideselon le choix de l’investigateur avant la randomisation et la stratification des patients).
Le pourcentage de patients atteignant les niveaux d’anticoagulation spécifiés par le protocole était plus important dans le groupe bivalirudine avec GPI provisoire que dans le groupe héparine plus GPI. Pour les patients randomisés dans le groupe tobivalirudine avec GPI provisoire, l’ACT médian à 5 min était de 358 sec (intervalle interquartile 320 à 400sec) et l’ACT était < 225 sec dans 3%. Pour les patients randomisés à l’héparine plus GPI, l’ACT médian de 5 min était de 317 sec (intervalle interquartile 263 à 373 sec) et l’ACT était < 225 sec chez 12%. A la fin de l’intervention, les valeurs médianes de l’ACT étaient de 334 secondes (groupe bivalirudine) et de 276 secondes (groupe héparine plus GPI).
Pour le critère composite de décès, d’IDM ou de revascularisation urgente évalué en double aveugle, la fréquence était plus élevée (7.6 %) (intervalle de confiance à 95 % de 6,7 % à 8,6 %) dans le bras bivalirudine avec GPI « provisoire » par rapport au bras héparine plus GPI (7,1 %) (intervalle de confiance à 95 % de 6,1 % à 8,0 %). Cependant, une hémorragie majeure a été signalée significativement moins souvent dans le groupe bivalirudine avec GPI provisoire (2,4 %) que dans le groupe héparine plus GPI (4,1 %). Les résultats de l’étude sont présentés dans le tableau 7.
Tableau 7 : Incidences des paramètres cliniques à 30 jours pour REPLACE-2, un essai clinique randomisé en double aveugle
Population en intention de traiter | Bivalirudine avec GPI « provisoire » (n=2,994) |
Héparine + GPI (n=3 008) |
Points finaux d’efficacité | ||
Décès, IM ou revascularisation urgente | 7.6% | 7,1% |
Décès | 0,2% | 0,4% |
IM | 7.0% | 6,2% |
Revascularisation urgente | 1.2% | 1,4% |
Safety Endpoint | ||
Hémorragie majeure1,2 | 2.4% | 4,1% |
1Définie comme une hémorragie intracrânienne, une hémorragie rétropéritonéale, une transfusion de >2 unités de sang/produits sanguins, une chute de l’Hgb >4 g/dL, que le site de saignement soit identifié ou non, une perte de sang spontanée ou non avec une diminution de l’Hgb >3 g/dL. 2p-value <0,001 entre les groupes. |
Après 12 mois de suivi, la mortalité était de 1,9% chez les patients randomisés à la bivalirudine avec des GPI « provisoires » et de 2,5% chez les patients randomisés à l’héparine plus GPI.
Bivalirudin Angioplasty Trial (BAT)
La bivalirudine a été évaluée chez des patients présentant un angor instable subissant une ACTP dans deux études randomisées, en double aveugle, multicentriques avec des protocoles identiques. Les patients devaient avoir présenté un angor instable défini comme suit : (1)une nouvelle apparition d’angine sévère ou accélérée ou de douleur au repos dans le mois précédant l’entrée dans l’étude ou (2)une angine ou une douleur ischémique au repos apparue entre quatre heures et deux semaines après un infarctus aigu du myocarde (IDM). Au total, 4 312 patients souffrant d’angine instable, dont 741 (17%) souffrant d’angine post-infarctus, ont été traités par bivalirudine ou héparine dans un rapport de randomisation 1:1. Les patients étaient âgés de 29 à 90 ans (médiane 63), leur poids médian était de 80 kg (39 à 120 kg), 68 % étaient des hommes et 91 % étaient de race blanche. Vingt-trois pour cent des patients ont été traités par héparine dans l’heure précédant la randomisation. Tous les patients ont reçu de l’aspirine à raison de 300 à 325 mg avant l’ACTP et quotidiennement par la suite. Les patients randomisés pour la bivalirudine ont été mis sous perfusion intraveineuse de bivalirudine (2,5 mg/kg/h). Dans les 5 minutes suivant le début de la perfusion, et avant l’ACTP, une dose de charge de 1 mg/kg a été administrée en bolus intraveineux. La perfusion a été poursuivie pendant 4 heures, puis la perfusion a été remplacée, en double aveugle, par de la bivalirudine (0,2 mg/kg/h) pendant 20 heures supplémentaires (les patients ont reçu cette perfusion pendant 14 heures en moyenne). L’ACT a été vérifié à 5 minutes et à 45 minutes après le début de la perfusion. Si, à l’une ou l’autre occasion, l’ACT était <350 sec, un bolus supplémentaire de placebo était administré en double aveugle. La dose de bivalirudine n’a pas été ajustée en fonction de l’ACT. Les valeurs médianes de l’ACT étaient ACT en secondes (du 5ème percentile au 95ème percentile) : 345 secondes (240 à 595 secondes) à 5 min et 346 secondes (de 269 à 583 secondes) à 45 min après le début du dosage. Les patients randomisés pour l’héparine ont reçu une dose de charge (175 UI/kg) en bolus intraveineux 5 minutes avant l’intervention prévue, avec le début immédiat d’une perfusion d’héparine (15 UI/kg/h). La perfusion a été poursuivie pendant 4 heures. Après 4 heures de perfusion, la perfusion d’héparine a été changée en double aveugle pour de l’héparine (15 UI/kg/h) pendant un maximum de 20 heures supplémentaires. L’ACT a été vérifié à 5 minutes et à 45 minutes après le début de la perfusion. Si, à l’une ou l’autre occasion, l’ACT était <350 sec, un bolus supplémentaire d’héparine (60 UI/kg) était administré en double aveugle. Une fois l’ACT cible atteint pour les patients sous héparine, aucune autre mesure de l’ACT n’a été effectuée. Tous les ACT ont été déterminés avec l’appareil Hemochron®. Le protocole autorisait l’utilisation d’une héparine ouverte à la discrétion de l’investigateur après l’arrêt du traitement en aveugle, qu’un événement final (échec de la procédure) se soit produit ou non. L’utilisation d’héparine en ouvert était similaire entre les groupes de traitement par bivalirudine et par héparine (environ 20% dans les deux groupes).
Les études ont été conçues pour démontrer la sécurité et l’efficacité de la bivalirudine chez les patients subissant une ACTP comme traitement de l’angine instable par rapport à un groupe témoin de patients similaires recevant de l’héparine pendant et jusqu’à 24 heures après le début de l’ACTP. Le critère d’évaluation principal du protocole était un critère composite appelé échec de la procédure, qui comprenait des éléments cliniques et angiographiques mesurés pendant l’hospitalisation. Les éléments cliniques étaient : la survenue d’un décès, d’un infarctus ou d’une revascularisation urgente, jugée en double aveugle. Les éléments angiographiques étaient les suivants : fermeture imminente ou brutale du vaisseau. Le critère de sécurité spécifié par le protocole était l’hémorragie majeure.
La durée médiane d’hospitalisation était de 4 jours pour les deux groupes de traitement par bivalirudine et héparine. Les taux d’échec de la procédure étaient similaires dans les groupes de traitement par bivalirudine et par héparine.Les résultats de l’étude sont présentés dans le tableau 8.
Tableau 8 : Incidences des critères cliniques intra-hospitaliers de l’essai BAT survenant dans les 7 jours
Tous les patients | Bivalirudin (n=2,161) |
Héparine (n=2, 151) |
Paramètres d’efficacité | ||
Échec de la procédure1 | 7.9% | 9,3% |
Décès, IM, revascularisation | 6,2% | 7.9% |
Décès | 0,2% | 0,2% |
IM2 | 3,3% | 4,2% |
Revascularisation3 | 4.2% | 5,6% |
Safety Endpoint | ||
Hémorragie majeure4 | 3.5% | 9,3% |
1Le critère d’évaluation primaire spécifié par le protocole (un composite de décès ou d’IM ou de détérioration clinique d’origine cardiaque nécessitant une revascularisation ou la mise en place d’une pompe à ballonnet aortique ou une preuve angiographique de fermeture brutale du vaisseau). 2Défini comme : IM à onde Q ; élévation de la CK-MB ≥2 x ULN, nouvelle anomalie de l’onde ST ou T, et douleur thoracique ≥30 min ; OU nouveau BBG avec douleur thoracique ≥30 min et/ou enzymes CK-MB élevées ; OU CKMB élevée et nouvelle anomalie de l’onde ST ou T sans douleur thoracique ; OU CK-MB élevée. 3Défini comme : toute procédure de revascularisation, y compris angioplastie, CABG, pose de stent ou d’une pompe à ballonnet intra-aortique. 4Défini comme : la survenue de l’un des événements suivants : saignement intracrânien, saignement rétropéritonéal, saignement cliniquement manifeste avec une diminution de l’Hgb ≥3 g/dL ou conduisant à une transfusion de ≥2 unités de sang. |
EssaiAT-BAT
Il s’agissait d’une étude ouverte à groupe unique qui a recruté 51 patients présentant une thrombocytopénie induite par l’héparine (HIT) ou un syndrome de thrombocytopénie et de thrombose induite par l’héparine (HITTS)subissant une ICP. Le diagnostic de HIT/HITTS était basé sur l’histoire clinique d’une diminution du nombre de plaquettes chez les patients après l’administration d’héparine. L’âge des patients était compris entre 48 et 89 ans (médiane 70) ; le poids allait de 42 à 123 kg (médiane 76) ; 50 % étaient des hommes et 50 % des femmes. La bivalirudine a été administrée sous forme d’un bolus de 1 mg/kg suivi d’une perfusion de 2,5mg/kg/h (dose élevée chez 28 patients) ou d’un bolus de 0,75 mg/kg suivi d’une perfusion de 1,75 mg/kg/h (dose plus faible chez 25 patients) pendant une durée maximale de 4 heures. Quatre-vingt-dix-huit pour cent des patients ont reçu de l’aspirine, 86 % du clopidogrel et 19 % des IPG.
Les valeurs médianes de l’ACT au moment de l’activation du dispositif étaient de 379 sec (dose élevée) et 317 sec (dose plus faible). Après la procédure, 48 des 51 patients (94 %) présentaient un flux de grade TIMI 3 et une sténose<50 %. Un patient est décédé au cours d’un épisode bradycardique 46 heures après une ICP réussie, un autre patient a dû subir une revascularisation chirurgicale et un patient n’a pas eu de flux, ce qui a nécessité la pose d’un ballon intra-aortique temporaire.
Deux des cinquante et un patients ayant reçu le diagnostic de TIH/TIH ont développé une thrombocytopénie après avoir reçu de la bivalirudine et des GPI.