Le Char d’assaut de grand modèleEdit
Les origines du Char 2C ont toujours été entourées d’un certain mystère. Au cours de l’été 1916, probablement en juillet, le général Léon Augustin Jean Marie Mourret, sous-secrétaire de l’Artillerie, accorde verbalement aux Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM), un chantier du sud de la France près de Toulon, le contrat pour le développement d’un char lourd, un char d’assaut de grand modèle. À l’époque, l’industrie française est très active dans le lobbying pour les commandes de défense, utilisant ses relations avec des fonctionnaires et des officiers haut placés pour obtenir des commissions ; les contrats de développement peuvent être très rentables même s’ils ne débouchent pas sur une production réelle, car ils sont entièrement payés par l’État. L’armée française n’avait pas de besoin déclaré pour un char lourd, et il n’y avait pas de politique officielle pour en acquérir un, donc la décision semble avoir été prise uniquement sur son autorité personnelle. La raison qu’il donna plus tard était que les chars britanniques alors en cours de développement par un comité naval semblaient être mieux conçus en ce qui concerne l’aménagement, la ventilation et la protection contre le feu, de sorte qu’un chantier naval pourrait améliorer les conceptions françaises existantes.Les spécifications exactes, si elles ont jamais existé, ont été perdues. Les spécifications exactes, si elles ont jamais existé, ont été perdues. Le FCM a ensuite largement négligé le projet, en dehors des bénéfices financiers qu’il en a tirés. A cette époque, tous les projets de chars étaient hautement secrets, et donc protégés de l’examen public.
Le 15 septembre 1916, les Britanniques ont présenté le char Mark I lors de la bataille de la Somme, et une véritable euphorie des chars a suivi. Alors que l’humeur du public britannique s’était assombrie à mesure que la vérité de l’échec de l’offensive de la Somme ne pouvait plus être étouffée, les chars offraient un nouvel espoir de victoire finale. Les Français sont alors curieux de connaître l’état d’avancement de leurs propres projets de chars nationaux. Les hommes politiques français, qui n’ont pas été très impliqués dans ces projets et qui ont laissé les militaires s’en occuper, ne sont pas moins curieux. Cette attention soudaine inquiète beaucoup Mourret, qui s’empresse d’enquêter sur les progrès réalisés au FCM et est choqué de constater qu’il n’y en a pas. Le 30 septembre, il prend personnellement le contrôle du projet. Le 12 octobre, sachant que la société Renault avait, quelques mois auparavant, fait plusieurs propositions de construction d’un mortier lourd à chenilles qui avaient été rejetées, il supplie Louis Renault d’aider le FCM à mettre au point un véhicule lourd approprié ; cette demande est acceptée par Renault. Avant même de savoir quelle serait la nature exacte du projet, Mourret commanda, le 20 octobre, la construction d’un prototype par le FCM.
Ce développement coïncidait avec une demande politique du ministre de l’Armement Albert Thomas de produire un char supérieur aux types britanniques. Le 7 octobre, il avait demandé à Lloyd George de livrer quelques Mark I à la France mais n’avait reçu aucune réponse. Concluant à juste titre qu’aucune livraison de ce type ne se matérialiserait, il ordonna, le 23 janvier 1917, le développement de chars français plus rapides, plus puissamment armés et blindés que n’importe quel véhicule britannique. Il spécifiait un poids de quarante tonnes, une immunité contre les tirs d’artillerie légère et une capacité de franchissement des tranchées de 3,5 mètres.
En attendant, Renault avait consulté sa propre équipe, dirigée par Rodolphe Ernst-Metzmaier, qui depuis mai 1916 était en train de concevoir le char léger révolutionnaire Renault FT. Ce travail ne les avait cependant pas empêchés d’envisager d’autres types de chars. Renault, qui attendait toujours de ses employés qu’ils lui fournissent instantanément de nouvelles idées, avait par cette attitude encouragé l’équipe à adopter une attitude proactive – établissant un modèle qui allait durer jusqu’en 1940 – et à disposer de divers types d’études de contingence prêtes pour l’occasion, y compris une étude de faisabilité pour un char lourd. Cette heureuse circonstance a permis de construire une maquette en bois grandeur nature dans un délai remarquablement court. Elle fut visitée par le sous-secrétaire d’État aux inventions Jules-Louis Breton le 13 janvier 1917, qui fut très impressionné et développa un vif intérêt pour le projet. Le projet est présenté au Comité consultatif de l’artillerie d’assaut les 16 et 17 janvier 1917, après que le concept de base ait été approuvé le 30 décembre. Ce projet de char est le plus avancé de son époque ; il est accueilli très favorablement, notamment en raison du rapport enthousiaste de Breton, et un consensus commence à se former sur le fait que le projet est très prometteur et qu’il pourrait » gagner la guerre « . Il était équipé d’un canon de 105 mm dans une tourelle, avait un poids proposé de 38 tonnes et un blindage de 35 mm. Le comité a décidé de faire développer deux prototypes, l’un avec une transmission électrique, l’autre avec une transmission hydraulique. A cette époque, les militaires français et britanniques avaient pris conscience des graves problèmes de mobilité et de direction que posaient les véhicules lourds à chenilles ; les conceptions françaises étaient parallèles aux vastes expériences britanniques avec toutes sortes de transmissions de chars améliorées pour les résoudre.
Résistance au projetModifier
En janvier 1917, le ministère de l’Armement proposa de construire trois classes de poids de chars : les chars légers, moyens et lourds, cette dernière classe correspondant au nouveau projet. Cependant, le char FCM s’était déjà fait un ennemi puissant et influent. Le brigadier Jean Baptiste Eugène Estienne, commandant de la nouvelle force de chars, l’Artillerie d’assaut, coopère étroitement avec Renault dans le développement du Renault FT, et grâce à cette connexion, il est bien informé de l’autre projet de char. Estienne commence à craindre que la production du véhicule lourd n’utilise toutes les installations de production disponibles, rendant impossible l’acquisition du char léger Renault FT, beaucoup plus pratique. Il n’était pas opposé à la production de chars lourds en tant que tels, mais seulement en nombre limité et à condition que cela n’entrave pas la fabrication de chars légers. Ses craintes ne sont pas infondées lorsqu’en novembre, Mourret tente d’entraver la poursuite du développement du Renault FT, arguant que toutes les ressources disponibles doivent être concentrées sur la production de chars lourds. Alarmé, Estienne écrit alors une lettre au commandant en chef, le général Joffre, datée du 27 novembre 1916 et défendant le concept du char léger. Dans cette lettre, il admet que les « navires terrestres colossaux » peuvent avoir leur utilité dans certaines circonstances, mais souligne que s’il n’est pas encore prouvé qu’un type de char lourd exploitable puisse être développé, et encore moins produit en nombre suffisant par l’industrie française, il serait insensé de ne pas donner la priorité aux chars légers qui peuvent être construits sans délai. Il insiste pour que Joffre use de toute son influence pour obtenir l’annulation du projet de char lourd.
Joffre répond qu’Estienne a sans doute raison dans son analyse tactique et organisationnelle, mais qu’il ne peut l’obliger car le soutien politique au char lourd est tout simplement trop fort. Le ministre de l’Armement, Albert Thomas, s’est engagé trop ouvertement dans la cause de Mourret et n’ose pas se rétracter maintenant. Joffre conseille à Estienne de ne pas trop s’inquiéter ; il s’assurera au moins que le Renault FT ne sera pas annulé, et précisément parce que le développement des chars lourds prendra beaucoup de temps, dans l’immédiat, il ne gênera pas la production des chars légers. Il n’y aurait sûrement aucun mal à permettre la construction de quelques prototypes.
Le Comité Consultatif de l’Artillerie d’Assaut (CCAS) avait été créé le 13 décembre 1916 et s’est réuni pour la première fois le 17 décembre. Au cours de cette première séance, il a été signalé que Renault et le FCM coopéraient dans un projet de char lourd de trente tonnes. Estienne souligne à cette occasion que la production doit être « orientée vers les petits types et les très grands types ». Lors de la réunion suivante, le 30 décembre, Estienne est surpris de découvrir que, sans raison précise, un canon de 105 mm est prévu. Il préférait lui-même un canon de 75 mm. Estienne était absent lors de la réunion cruciale du 17 janvier, mais par lettre, il informa le comité qu’il trouvait le projet bien présenté et satisfaisant et qu’il était d’accord avec la construction rapide de deux prototypes ; il déclara sa préférence pour un canon de 75 mm plutôt que de 105 mm.
En décembre, Joffre fut remplacé comme commandant suprême par Robert Nivelle. Fin janvier, Nivelle apprend par Estienne l’existence du projet de chars lourds. Il est beaucoup plus alarmé que ne l’avait été Joffre. Le 29 janvier, il écrit une lettre au ministre Thomas, indiquant clairement qu’en aucun cas le projet ne peut entraver la production du Schneider CA. Thomas répond le 5 février qu’il n’y a aucun risque ; de toute façon, il vient d’affirmer le 1er février la politique du général Mourret, qui a déjà ordonné le développement simultané de trois prototypes : la version allégée « A », pesant trente tonnes, ayant une longueur de 6.92 mètres, doté d’une suspension à vingt-neuf roues doubles, quatre bogies principaux et cinq galets supérieurs, propulsé par deux moteurs Renault de 200 chevaux et devant être équipé d’un canon de 75 mm, pour répondre à la commande initiale du 20 octobre ; la version « B » de quarante-cinq tonnes avec une coque allongée à 7.39 mètres, armé d’un canon de 75 mm et de deux mitrailleuses, avec une suspension à trente roues, cinq bogies principaux et six galets supérieurs, utilisant un nouveau moteur de 380 cv et une transmission pétro-hydraulique et la version « C » de 62 tonnes avec un canon de 75 mm, une longueur de 9,31 mètres, une suspension à quarante-cinq roues, six bogies principaux et neuf galets supérieurs, et quatre moteurs de 110 cv combinés à une transmission pétro-électrique. Les doutes de Nivelle sont renforcés par les enquêtes d’une commission financière parlementaire dirigée par Pierre Renaudel. Le projet de Breton de commander immédiatement cinquante véhicules plus ou moins identiques à la maquette est donc rejeté. La commande du 1er février de deux prototypes supplémentaires est confirmée par la CCAS le 7 février. Finalement, le « FCM 1A » sera développé avec un canon de 105 mm et le « FCM 1B » utilisera une transmission mécanique à essence.
Au début, les progrès du prototype FCM 1A étaient satisfaisants. Le directeur du FCM, Moritz, a été assuré par Renault en janvier 1917 que les moteurs de 200 CV souhaités étaient fiables et ne poseraient aucun danger pour le projet. Moritz a alors prédit que le premier prototype serait prêt pour le 1er mai 1917. Le 10 avril 1917, il supposait encore que les premiers essais pourraient commencer dans les cinq semaines. Le 16 avril, l’offensive Nivelle échoue complètement, et la première utilisation des chars français est également un échec ; en réaction, Thomas ordonne l’arrêt de toute production et de tout projet de chars. En réaction, Thomas ordonne l’arrêt de la production et des projets de chars. Cela conduit à une alliance d’urgence entre Estienne et Mourret pour faire revenir sur cette décision. Lorsque Thomas se rend en Russie, Mourret ordonne subrepticement le redémarrage des projets de chars. À son retour, Thomas, furieux, fait renvoyer Mourret, éliminant ainsi le plus grand rival d’Estienne. Entre-temps, la livraison des moteurs et de la boîte de vitesses par Renault connaît des retards inexpliqués. Le 5 juin, le FCM ne peut que constater que les pièces promises ne sont pas encore arrivées. Le 24 juin, le ministère de l’armement se plaint de la situation. Le 13 août, Breton s’est personnellement renseigné auprès de Renault et a été informé que cela prendrait encore au moins trois semaines. Une explication possible de ces retards pourrait être une décision délibérée de Renault de donner la priorité à d’autres projets. Lors d’une réunion de la CCAS le 18 octobre, Moritz peut enfin annoncer que les essais pourront commencer le 20 novembre. Lors de cette réunion, Estienne se montre critique à l’égard des chars lourds : « l’infanterie a autant besoin de grands chars, qu’elle a besoin de canons de 400 mm ; elle a besoin de petits chars, autant qu’elle a besoin de 37 mm et de mitrailleuses ».
Le FCM 1AEdit
Le 17 novembre, le directeur Moritz, présentant à la CCAS la prochaine présentation du prototype du FCM 1A, explique qu’il s’agit d’un banc d’essai qui ne correspond pas exactement aux spécifications initiales de la « version A ». En fait, l’entreprise, dans ses efforts pour obtenir un véhicule opérationnel le plus rapidement possible, avait construit un prototype largement basé sur la maquette originale et donc beaucoup plus proche du concept « B », bien qu’avec un canon de 105 mm et une transmission mécanique à essence ; la transmission hydraulique avait été abandonnée par la CCAS le 10 mai. Il subsiste un rapport détaillé de l’armée sur les plans de janvier 1917 qui peut donner une bonne impression des qualités du prototype éventuel.
Le véhicule était le plus grand char construit jusqu’à cette date. Il avait une longueur de 8,35 m (27,4 ft), une largeur de 2,842 m (9,32 ft), une hauteur de coque de 1,98 m (6,5 ft), une hauteur de toit de tourelle de 2,785 m (9,14 ft) et une hauteur totale, coupole comprise, de 3 m (9,84 ft). C’était également le premier véhicule blindé offrant une réelle protection contre les tirs d’artillerie HE : la coque avant était recouverte d’une plaque de blindage de 35 mm (1,38 in) ; la tourelle avait la même épaisseur sur tout son pourtour. Les côtés et l’arrière étaient protégés par une plaque de 21 mm (0,83 in), le sommet et le toit par 15 mm (0,6 in). Le poids total du char était de 41,4 tonnes. Son poids en coque vide était de 22,1 tonnes, 17,5 tonnes représentées par la coque, dont 5,5 tonnes de blindage, et 4,6 tonnes par la tourelle, dont 1,3 tonne de blindage.
La coque du FCM 1A était très allongée, afin de traverser de larges tranchées. Elle était plus ou moins compartimentée en quatre sections, qui n’étaient cependant pas séparées par des cloisons : un compartiment conducteur relativement court à l’avant, un compartiment de combat avec une tourelle à son sommet, une salle de munitions plus grande et enfin un grand compartiment moteur à l’arrière. Ce dernier était élargi des deux côtés au-dessus des chenilles, afin de créer de la place pour de longs réservoirs de carburant rectangulaires. L’avant de la coque suivait le profil des hautes parois des chenilles et s’incurvait donc progressivement vers le haut, pour se terminer par une plaque de nez haute et verticale. Derrière, la plaque de glacis était orientée presque horizontalement et se raccordait à l’arrière à la plaque avant verticale de la cabine du conducteur. Comme l’anneau de la tourelle était plus grand que la largeur de la coque, il reposait en partie sur des extensions latérales arrondies. La tourelle était un cône tronqué avec un toit incliné vers l’avant, de sorte que, en vue latérale, son profil était en forme de coin.
ÉquipageModification
A l’origine, un équipage de sept personnes avait été prévu, mais en décembre 1917, il avait été réduit à six : un commandant à gauche de la tourelle qui avait également la responsabilité de viser le canon ; un deuxième homme à droite de la tourelle qui combinait les fonctions de tireur, de mitrailleur et de chargeur ; un assistant-chargeur debout qui remettait les nouvelles cartouches au chargeur – au début, deux d’entre eux avaient été considérés comme nécessaires ; un conducteur ; un mitrailleur avant ; et un mécanicien qui doublait le mitrailleur arrière.
ArmementEdit
L’armement principal était un canon de 105 mm, un Canon de 105 Court Schneider, raccourci pour réduire son recul afin de s’intégrer dans une tourelle. Il tirait un obus HE avec quatre kilogrammes d’explosifs et une vitesse initiale de 240 m/s. La grande coque permettait de disposer d’un important stock de munitions de 122 cartouches : dix-huit, empilées en trois rangées verticales de six devant lui, étaient directement accessibles au tireur/chargeur ; deux lots de huit étaient rangés sous le plancher du compartiment de combat et quarante-quatre, empilées en quatre rangées verticales de onze, bordaient chaque mur de la salle des munitions. Le commandant pointait le canon en observant la cible à travers un viseur à palette, installé sur le toit de la tourelle, depuis sa « coupole » rectangulaire. Il y avait deux mitrailleuses Hotchkiss de 8 mm dans des positions fixes à monture sphérique ; les mitrailleuses de réserve ou les pistolets pouvaient être tirés à travers cinq fentes verticales qui pouvaient être bouchées : une à l’arrière de la tourelle, deux sur les côtés de la tourelle et deux sur les côtés de la coque sous l’arrière de la tourelle.
Motorisation et suspensionModifié
Dans le prototype, un seul moteur Renault 220 CV douze cylindres était installé, permettant une vitesse maximale de 10 km/h (6,2 mph) à 1200 tr/min. La vitesse minimale était de 2 km/h (1,24 mph). La transmission était mécanique, avec un embrayage à disque. Le pignon est à l’arrière, le pignon fou à l’avant. La suspension était constituée de bogies, suspendus par des ressorts à lames, de quatre roues chacune avec des boudins extérieurs et intérieurs alternés. Les chenilles avaient une largeur de 600 mm (23,6 po), ce qui donnait une pression au sol de 0,6 kg/cm2. La garde au sol était de 400 mm (15.7 in). Le centre de gravité était situé au milieu du véhicule, à un mètre du sol. La conception ne comporte délibérément aucune section avant ou arrière en surplomb, ce qui avait considérablement entravé la mobilité des anciens chars français Schneider CA1 et Saint Chamond. Le char pouvait franchir un obstacle vertical de 1 m de haut et traverser une tranchée de 3,5 m de large.
ErgonomieModification
Le motif déclaré de Mourret de faire concevoir le char par un chantier naval assurait une grande attention à l’ergonomie. Le véhicule était ainsi moins exigu que les conceptions précédentes, l’équipage pouvait marcher, légèrement accroupi, dans toute la coque. Le mécanicien pouvait accéder au moteur des deux côtés et le commandant pouvait communiquer avec le conducteur, le mitrailleur avant et le mécanicien par des tubes parlants. Les communications externes étaient la responsabilité du mécanicien qui pouvait ouvrir une petite trappe juste derrière la tourelle pour donner des signaux par des drapeaux, des fusées ou des lumières électriques. On pouvait entrer dans le char par la coupole, mais chaque membre avait des trappes d’évacuation ovales ou rondes au-dessus ou au-dessous de lui.
Le Char 2C est commandéEdit
Le 20 décembre 1917, le premier prototype était prêt à être présenté à une commission d’enquête de la CCAS, les essais réels ayant lieu à La Seyne-sur-Mer les 21 et 22 décembre. Mourret avait été remplacé à la tête de la commission par Estienne ; des observateurs britanniques et américains étaient présents. Le FCM 1A, à l’allure futuriste, fait une excellente impression sur l’assistance. Moritz démontre que le véhicule est capable de traverser sans effort des tranchées de 3,5 mètres de large, d’escalader des murs de 90 centimètres de haut, de descendre dans des cratères de 6 mètres de large et de 4 mètres de profondeur et d’en ressortir. Dans les bois, il pouvait briser un pin de 28 centimètres d’épaisseur et écraser un pin de 35 centimètres d’épaisseur. Il atteignait une vitesse de 6 km/h. Le principal problème était qu’il s’avérait difficile de diriger le char en raison de la longueur extrême de ses chenilles et de l’insuffisance du profil des maillons de chaîne. La chenille glissait facilement au freinage, bien qu’elle n’ait jamais été projetée. Le moteur de l’appareil avait tendance à surchauffer et son manque fondamental de puissance se traduisait par une pente ascendante maximale de 65 %. Bien que le premier canon Schneider de 105 mm raccourci ait été reçu en octobre, les premiers essais de tir réel n’eurent lieu que les 5 et 7 février 1918, avec des résultats satisfaisants.
Discutant des résultats des essais, le 4 janvier 1918, le service technique de l’Artillerie Spéciale conclut que le FCM 1A semblait un puissant véhicule de combat capable d’avoir un effet négatif important sur le moral de l’ennemi. Dès le 30 décembre, le ministre des munitions Louis Loucheur avait estimé que la France « n’avait pas une minute à perdre » et avait proposé au président du Conseil Georges Clemenceau de dépenser cinquante millions de francs français pour construire une centaine de FCM 1A, les quinze premiers devant être livrés à partir de juillet 1918, afin de disposer d’un effectif de quatre-vingts véhicules au 31 décembre. Cependant, Clemenceau laissera la décision à Estienne.
Le général Philippe Pétain, nouveau commandant supérieur de l’armée française, demande à Estienne d’utiliser sa position pour mettre fin au projet. Estienne a répondu à Pétain que cela n’était pas judicieux alors que le public se demandait pourquoi ces chars lourds n’avaient pas été produits. En outre, les alliés (notamment les Britanniques et les Américains) ne consentiraient à donner à la France 700 exemplaires du nouveau modèle Mark VIII « Liberty » que si la France avait fait au moins un effort symbolique pour produire ses propres chars lourds. Les autorités françaises ont donc dû retarder le projet tout en le soutenant en apparence. Estienne avait déjà tracé cette voie en choisissant la version la plus lourde, le « C », pour la production, ce qui nécessitait un prototype entièrement nouveau, entraînant un retard considérable. Puis Pétain exigea des chiffres de production déraisonnablement élevés, retardant ainsi la planification et déclenchant une querelle politique.
Pétain demanda que 300 chars lourds soient prêts pour mars 1919, ce qui provoqua une querelle entre Clemenceau, à la fois Premier ministre et ministre de la Guerre, et Loucheur, ministre de l’Armement, qui estimait impossible de fournir la main-d’œuvre et l’acier nécessaires. Entre-temps, Estienne et Pétain compliquent la situation par de nouvelles demandes. Pétain demande des pontons spéciaux, et Estienne exige la réparation des béliers et des détecteurs de mines électroniques. A la fin de la guerre, pas un seul char n’avait été construit.
Dans un premier temps, l’ordre de production du Char 2C fut annulé. Cependant, malgré la fin des hostilités, une forte pression politique pour adopter de nouveaux projets de chars lourds demeurait, car il y avait maintenant une capacité excédentaire considérable dans l’industrie lourde. Pour mettre fin à cette situation, la Direction de l’Artillerie d’Assaut, à l’instigation d’Estienne, décide en avril 1919 d’acquérir tout de même dix Char 2C et d’utiliser cet argument pour rejeter tout autre projet. Cette décision n’est pas totalement couronnée de succès ; en 1920 encore, il est proposé à la Section Technique des Appareils de Combat de construire un char de 600 tonnes avec un blindage de 250 mm. Au FCM, Jammy et Savatier terminent le prototype du Char 2C, les neuf autres chars étant construits presque simultanément ; les dix chars sont livrés en 1921 et modifiés par l’usine jusqu’en 1923. Ils seront les derniers chars français à être produits pour le marché intérieur jusqu’à la présérie Char D1 de 1931.