Pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille, Christine se tourne vers l’écriture. En 1393, elle écrivait des ballades amoureuses, qui attiraient l’attention de riches mécènes au sein de la cour. Christine devient un écrivain prolifique. Son implication dans la production de ses livres et son utilisation habile du mécénat dans une période politique turbulente lui ont valu le titre de première femme de lettres professionnelle d’Europe. Bien qu’italienne de naissance, Christine exprime un fervent nationalisme pour la France. Affectivement et financièrement, elle s’est attachée à la famille royale française, donnant ou dédiant ses premières ballades à ses membres, notamment Isabeau de Bavière, Louis Ier, duc d’Orléans, et Marie de Berry. De la reine Isabeau, elle écrit en 1402 « Haute, excellente reine couronnée de France, princesse très redoutable, dame puissante, née à une heure heureuse ».
La France était dirigée par Charles VI qui a connu une série de dépressions mentales, provoquant une crise de leadership pour la monarchie française. Il était souvent absent de la cour et ne pouvait finalement prendre des décisions qu’avec l’approbation d’un conseil royal. La reine Isabeau était nominalement en charge de la gouvernance lorsque son mari était absent de la cour, mais elle ne pouvait pas éteindre la querelle entre les membres de la famille royale. Par le passé, Blanche de Castille avait joué un rôle central dans la stabilité de la cour royale et avait fait office de régente de France. Christine a publié une série d’ouvrages sur les vertus des femmes, faisant référence à la reine Blanche et les dédiant à la reine Isabeau.
Christine croyait que la France avait été fondée par les descendants des Troyens et que sa gouvernance par la famille royale adhérait à l’idéal aristotélicien. En 1400, Christine publie L’Épistre de Othéa a Hector (Lettre d’Othéa à Hector). Lors de sa première publication, le livre est dédié à Louis d’Orléans, le frère de Charles VI, qui est considéré à la cour comme un régent potentiel de la France. Dans L’Épistre d’Othéa, Hector de Troie reçoit un enseignement sur l’art de gouverner et les vertus politiques de la part de la déesse de la sagesse Othéa. Christine a produit des éditions de luxe richement illustrées de L’Épistre de Othéa a Hector en 1400. Entre 1408 et 1415, Christine a produit d’autres éditions de ce livre. Tout au long de sa carrière, elle a produit des éditions redédicacées du livre avec des prologues personnalisés pour des mécènes, notamment une édition pour Philippe le Hardi en 1403, et des éditions pour Jean de Berry et Henri IV d’Angleterre en 1404. Le mécénat a changé à la fin du Moyen Âge. Les textes sont encore produits et diffusés sous forme de manuscrits à rouleau continu, mais ils sont de plus en plus remplacés par le codex relié. Les membres de la famille royale deviennent les mécènes des écrivains en leur commandant des livres. Les matériaux devenant moins chers, le commerce du livre se développe, et les écrivains et les libraires produisent des livres pour la noblesse française, qui peut se permettre de créer ses propres bibliothèques. Christine n’a donc pas eu de mécène unique qui l’ait soutenue financièrement de manière constante et elle a été associée à la cour royale et aux différentes fractions de la famille royale – les Bourguignons, les Orléanais et les Berrichons – qui avaient chacune leur propre cour respective. Tout au long de sa carrière, Christine a entrepris des projets parallèles rémunérés pour des mécènes individuels et a ensuite publié ces œuvres pour les diffuser parmi la noblesse de France.
En 1402, Christine a été impliquée dans une controverse littéraire renommée, la « Querelle du Roman de la Rose ». Christine est à l’origine de ce débat en remettant en cause les mérites littéraires du populaire Roman de la Rose de Jean de Meun. Le Roman de la Rose fait la satire des conventions de l’amour courtois tout en dépeignant de manière critique les femmes comme de simples séductrices. En pleine guerre de Cent Ans entre les rois français et anglais, Christine publie en 1403 l’allégorie du rêve Le Chemin de longue estude. Dans un récit à la première personne, elle voyage avec la Sibylle Cumescente et assiste à un débat sur l’état du monde entre les quatre allégories – Richesse, Noblesse, Chevalerie et Sagesse. Christine suggère que la justice pourrait être apportée sur terre par un seul monarque qui aurait les qualités nécessaires.
En 1404, Christine a fait une chronique de la vie de Charles V, le dépeignant comme le roi et le dirigeant politique idéal, dans Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V. La chronique avait été commandée par Philippe le Hardi et dans la chronique, Christine a porté un jugement sur l’état de la cour royale. Lorsqu’elle loue les efforts de Charles V pour étudier le latin, Christine déplore que ses contemporains aient dû recourir à des étrangers pour leur lire la loi. Avant que le livre ne soit achevé, Philippe le Hardi meurt, et Christine offre le livre à Jean de Berry en 1405, trouvant ainsi un nouveau mécène royal. Elle est payée 100 livres pour le livre par le successeur de Philippe, Jean sans Peur, en 1406, et recevra des paiements de sa cour pour des livres jusqu’en 1412.
En 1405, Christine publie Le Livre de la cité des dames et Le Livre des trois vertus, connu sous le nom de Trésor de la cité des dames. Dans Le Livre de la cité des dames, Christine présente des femmes leaders intellectuelles et royales, comme la reine Zénobie. Christine a dédié Le Livre des trois vertus à la dauphine Marguerite de Nevers, conseillant la jeune princesse sur ce qu’elle devait apprendre. Lorsque le fils aîné de la reine Isabeau, Louis de Guyenne, atteint sa majorité, Christine lui adresse trois ouvrages dans l’intention de promouvoir un gouvernement sage et efficace. Le plus ancien de ces trois ouvrages a été perdu. Dans le Livre du Corps de policie, publié en 1407 et dédié au dauphin, Christine expose un traité politique qui analyse et décrit les coutumes et les gouvernements des sociétés européennes de la fin du Moyen Âge. Christine est favorable aux monarchies héréditaires, arguant, en référence aux cités-États italiennes gouvernées par des princes ou des marchands, qu' »une telle gouvernance n’est pas du tout profitable au bien commun ». Christine a également consacré plusieurs chapitres aux devoirs d’un roi en tant que chef militaire et elle a décrit en détail le rôle de la classe militaire dans la société.
Guerre civileEdit
La France était au bord de la guerre civile totale depuis 1405. En 1407, Jean Ier de Bourgogne, également connu sous le nom de Jean sans Peur, plongea la France dans une crise en faisant assassiner Louis d’Orléans. Le duc de Bourgogne fuit Paris lorsque sa complicité dans l’assassinat est connue, mais il est nommé régent de France au nom de Charles VI à la fin de l’année 1408 après sa victoire militaire à la bataille d’Othee. On ne sait pas exactement qui a chargé Christine d’écrire un traité sur la guerre militaire, mais en 1410, Christine a publié le manuel de chevalerie, intitulé Livre des faits d’armes et de chevalerie. Christine a reçu 200 livres du trésor royal au début de 1411 pour ce livre. Dans la préface, Christine explique qu’elle a publié le manuel en français afin qu’il puisse être lu par des praticiens de la guerre peu versés dans le latin. Le livre s’ouvre sur une discussion de la théorie de la guerre juste avancée par Honoré Bonet. Christine fait également référence aux auteurs classiques de la guerre militaire, tels que Vegetius, Frontinus et Valerius Maximus. Christine aborde des questions contemporaines liées à ce qu’elle appelle les lois de la guerre, telles que la peine capitale, le paiement des troupes, ainsi que le traitement des non-combattants et des prisonniers de guerre. Christine s’oppose au procès par combat, mais elle exprime la croyance médiévale selon laquelle Dieu est le seigneur et le gouverneur de la bataille et que les guerres sont l’exécution appropriée de la justice. Néanmoins, elle reconnaît que dans une guerre « beaucoup de grands torts, d’extorsions et d’actes graves sont commis, ainsi que des viols, des meurtres, des exécutions forcées et des incendies criminels ». Christine a limité le droit de faire la guerre aux rois souverains car, en tant que chefs d’État, ils étaient responsables du bien-être de leurs sujets. En 1411, la cour royale publia un édit interdisant aux nobles de lever une armée.
Après que la guerre civile eut éclaté en France, Christine en 1413 offrit des conseils au jeune dauphin sur la façon de bien gouverner, en publiant le Livre de la paix. Le Livre de la paix sera la dernière œuvre majeure de Christine et contient des formulations détaillées de ses réflexions sur la bonne gouvernance. Cette période est marquée par des épisodes de guerre civile et par l’échec des tentatives de traduire Jean sans Peur en justice pour l’assassinat de son cousin. Christine s’adresse directement à Louis de Guyenne, l’encourageant à poursuivre la quête de la paix en France. Elle affirme que « tout royaume divisé en lui-même sera désolant, et toute ville et maison divisée contre elle-même ne tiendra pas ». Christine connaissait Guillaume de Tignonville, ambassadeur à la cour royale, et faisait référence aux discours de Tignonville sur la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons. Christine dessine une vision utopique d’un souverain juste, qui pourrait prendre conseil auprès de personnes plus âgées ou plus sages. En soutenant que la paix et la justice étaient possibles sur terre comme au ciel, Christine était influencée par Dante, auquel elle avait fait référence dans Le Chemin de longue estude. Christine encourageait le dauphin à mériter le respect, en administrant la justice avec promptitude et en vivant selon un exemple digne. Christine exhorte les jeunes princes à se rendre disponibles pour leurs sujets, à éviter la colère et la cruauté, à agir avec libéralité, clémence et vérité. L’interprétation de Christine du prince chrétien vertueux s’appuyait sur les conseils prodigués aux souverains par saint Benoît, Pierre Abélard et Cicéron.
En 1414, Christine offrit à la reine Isabeau un recueil de ses œuvres richement décoré (aujourd’hui connu sous le nom de British Library Harley 4431). Le livre relié contenait 30 des écrits de Christine et 130 miniatures. La reine lui avait demandé de produire ce livre. Réputé pour la qualité de ses enluminures, Christine elle-même et ses anciens mécènes royaux y sont représentés. En guise de marque de propriété et de paternité, le frontispice d’ouverture représentait la reine Isabeau recevant le livre de Christine.
En 1418, Christine publia une consolation pour les femmes qui avaient perdu des membres de leur famille lors de la bataille d’Agincourt sous le titre Epistre de la prison de vie Humaine. Christine n’y exprime aucun optimisme ni espoir de trouver la paix sur terre. Au contraire, elle exprime l’idée que l’âme est prisonnière du corps et emprisonnée en enfer. L’année précédente, elle avait présenté l’Epistre de la prison de vie Humaine à Marie de Berry, l’administratrice du duché de Bourbon dont le mari était retenu en captivité par les Anglais.
Les historiens supposent que Christine a passé les dix dernières années de sa vie au couvent dominicain de Poissy en raison de la guerre civile et de l’occupation de Paris par les Anglais. Loin de la cour royale, son activité littéraire cessa. Cependant, en 1429, après la victoire militaire de Jeanne d’Arc sur les Anglais, Christine publie le poème Ditié de Jehanne d’Arc (The Tale of Joan of Arc). Publié quelques jours seulement après le couronnement de Charles VII, Christine exprime un regain d’optimisme. Elle présente Jeanne comme l’accomplissement des prophéties de Merlin, de la sibylle Cumaean et de Saint Bede, aidant Charles VII à réaliser les prédictions de Charlemagne.
Christine serait morte en 1430, avant que Jeanne ne soit jugée et exécutée par les Anglais. Après sa mort, la crise politique en France a été résolue lorsque le seul fils survivant de la reine Isabeau, Charles VII, et le successeur de Jean sans Peur comme duc de Bourgogne, Philippe le Bon, ont signé la paix d’Arras en 1435.