par l’Institut Pasteur
Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont fait la lumière sur la montée de la résistance à l’ampicilline dans les années 1960. Grâce à l’échantillonnage du génome de souches historiques de Salmonella, ils ont prouvé que la résistance aux antibiotiques peut être retracée avant la mise sur le marché de l’ampicilline au Royaume-Uni. Leur découverte suggère donc que les faibles doses de pénicilline administrées systématiquement au bétail dans les années 1950 en Amérique du Nord et en Europe ont pu favoriser l’évolution et la propagation de bactéries résistantes aux antibiotiques. Ces résultats seront publiés dans The Lancet Infectious Diseases le mercredi 29 novembre.
La résistance aux antibiotiques tue environ 25 000 personnes par an en Europe, et ce chiffre devrait passer à plus de 10 millions de personnes dans le monde d’ici 2050. De nombreuses bactéries à l’origine d’infections graves chez l’homme, comme les salmonelles, ont déjà développé une résistance aux antibiotiques courants.
L’ampicilline, l’un des antibiotiques les plus utilisés aujourd’hui et la première pénicilline à large spectre pour le traitement des infections dues aux entérobactéries, a été mise sur les marchés européens au début des années soixante, notamment sur le marché britannique en 1961. Peu après (en 1962-1964), les premiers foyers de maladie chez l’homme causés par des souches résistantes à l’ampicilline de la bactérie zoonotique commune Salmonella Typhimurium ont été identifiés dans ce pays.
Cette courte chronologie a incité les chercheurs de l’Institut Pasteur à étudier l’émergence de la résistance à l’ampicilline. Ils ont découvert que les bactéries qui peuvent transmettre des gènes résistants à l’ampicilline sont apparues plusieurs années avant l’utilisation généralisée de cet antibiotique chez l’homme.
Dans cette étude, ils ont testé 288 échantillons historiques de bactéries S. Typhimurium prélevés sur des humains, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique entre 1911 et 1969. Les échantillons ont été testés pour leur sensibilité aux antibiotiques et ont été analysés par séquençage du génome entier, afin d’identifier les mécanismes de résistance à l’ampicilline.
L’analyse moléculaire suggère donc que le gène de résistance à l’ampicilline (blaTEM-1) est apparu chez Salmonella, plusieurs années avant que l’antibiotique ne soit mis sur le marché pharmaceutique. Les résultats indiquent également qu’une cause possible était la pratique courante d’ajouter de faibles doses de pénicilline G à spectre étroit (également connue sous le nom de benzylpénicilline) aux aliments pour animaux dans les années 1950 et 1960.
« Nos résultats suggèrent que les résidus d’antibiotiques dans les environnements agricoles tels que le sol, les eaux usées et le fumier peuvent avoir un impact beaucoup plus important sur la propagation de la résistance que ce que l’on pensait auparavant », déclare le Dr Francois-Xavier Weill, de l’Institut Pasteur, qui a dirigé l’étude.
Les chercheurs ont trouvé divers gènes de résistance à l’ampicilline dans 11 isolats (3,8 %) provenant d’échantillons humains. Fait important, le gène blaTEM-1 a été trouvé sur des plasmides (ADN mobile qui peut être facilement copié et transféré entre différentes bactéries) dans trois isolats prélevés sur des humains en France et en Tunisie en 1959 et 1960.
Les auteurs notent que malgré la proximité entre les pays, les vecteurs de la résistance à l’ampicilline (principalement de France) différaient de ceux des souches responsables des premières épidémies au Royaume-Uni dans les années 1960. Le Dr Weill déclare : « Cela indique que l’émergence précoce de la résistance à l’ampicilline était due à de multiples acquisitions indépendantes de ces gènes résistants par différentes populations bactériennes et à leur propagation variable dans plusieurs pays. »
Dans des analyses supplémentaires, les auteurs confirment que les gènes de résistance à l’ampicilline peuvent être transférés avec succès entre des souches de S. Typhimurium après une exposition à des niveaux relativement faibles de pénicilline G, similaires à ceux trouvés dans l’environnement du bétail dans les années cinquante-sept.
Selon le Dr Weill, « Bien que notre étude ne puisse pas identifier un lien de causalité entre l’utilisation de la pénicilline G et l’émergence d’une résistance transmissible à l’ampicilline chez le bétail, nos résultats suggèrent que l’utilisation non clinique de pénicillines comme la benzylpénicilline a pu favoriser l’évolution des gènes de résistance à l’ampicilline à la fin des années 1950. Il est urgent de réévaluer l’utilisation d’antibiotiques chez les animaux et d’adopter une approche « une seule santé » pour lutter contre la résistance, en reconnaissant que les bactéries ne connaissent pas de frontières. Cela doit inclure un suivi et une surveillance internationale étroite de la résistance en santé humaine et animale. »
L’étude intervient quelques semaines seulement après que l’OMS ait appelé à la fin de l’utilisation systématique des antibiotiques pour favoriser la croissance et prévenir les maladies chez les animaux d’élevage sains.
Informations sur le journal : Lancet Infectious Diseases
Fourni par l’Institut Pasteur
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