L’aspirine en plus de l’anticoagulation chez les patients atteints de maladie coronarienne stable et de fibrillation auriculaire concomitante

Article, voir p 604

Les patients présentant une maladie coronarienne (MC) stable et une fibrillation auriculaire (FA) concomitantes présentent un risque élevé d’événements ischémiques et hémorragiques, et sont fréquemment rencontrés dans la pratique quotidienne car 30 % des patients présentant une FA ont également une MC et jusqu’à 15 % des patients présentant une MC stable ont une FA concomitante.1-Dans ce contexte, il est crucial d’identifier le régime antithrombotique présentant le meilleur rapport bénéfice/risque, à poursuivre tout au long de la vie. En théorie, ces patients spécifiques peuvent avoir besoin d’un double régime antithrombotique combinant une anticoagulation orale et un traitement antiplaquettaire unique pour éviter les embolies systémiques et les accidents vasculaires cérébraux, d’une part, et les événements coronariens et vasculaires récurrents, d’autre part. Cependant, sur la base de données observationnelles,3,4,7,8 les directives actuelles et le consensus d’experts recommandent l’utilisation de l’anticoagulation orale seule comme stratégie par défaut pour limiter le risque de saignement chez ces patients.9-11 En effet, la plupart des études observationnelles suggèrent que l’association d’un traitement antiplaquettaire unique et de l’anticoagulation orale est associée à un risque plus élevé de saignement sans bénéfice clair sur les points finaux ischémiques.3,4,7,8 Cependant, il faut souligner, premièrement, que cette littérature est peu abondante, et, deuxièmement, que ces études observationnelles souffrent de biais. La plupart sont des analyses rétrospectives de registres ; l’utilisation d’un traitement antiplaquettaire unique en plus de l’anticoagulation orale n’a pas été attribuée de façon aléatoire ; et d’importants facteurs de confusion peuvent ne pas avoir été correctement pris en compte. Les patients qui ont reçu un traitement antiplaquettaire unique en plus de l’anticoagulation orale à l’inclusion sont susceptibles d’avoir un risque plus élevé d’événements ischémiques par rapport à ceux sous anticoagulation orale seule, ce qui limite la possibilité de montrer un avantage de cette stratégie par rapport à l’anticoagulation orale seule. Enfin, dans la plupart des études, le régime antithrombotique n’a été recueilli qu’à l’inclusion, et ni les changements au cours du suivi ni le régime antithrombotique exact qui était réellement pris par le patient au moment des événements ischémiques ou hémorragiques incidents n’ont été recueillis. Des essais randomisés sont donc absolument nécessaires dans ce contexte. Dans ce numéro, Matsumura-Nakano et al12 rapportent les résultats de l’essai OAC-ALONE (Optimizing Antithrombotic Care in Patients With Atrial Fibrillation and Coronary Stent), le premier essai randomisé dans ce domaine. Les auteurs doivent être félicités pour avoir abordé cette question de front dans un essai randomisé.

L’essai OAC-ALONE a testé l’hypothèse selon laquelle l’anticoagulation orale seule est non inférieure à l’association d’un traitement antiplaquettaire unique et d’une anticoagulation orale.12 Cet essai randomisé ouvert a débuté en 2013 au Japon et prévoyait de recruter 2000 patients présentant une coronaropathie stable (au moins un an après le dernier événement coronarien aigu, intervalle médian entre la dernière intervention coronarienne percutanée et le recrutement dans l’étude de 4,5 ans) et une FA concomitante, qui recevaient une double thérapie antithrombotique (traitement antiplaquettaire unique et anticoagulation orale) au moment de l’inclusion, afin de tester si les patients devaient continuer ou arrêter le traitement antiplaquettaire unique. Le suivi initial prévu était de 18 mois. Le critère d’évaluation principal était un composite de décès toutes causes confondues, d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire cérébral (ischémique ou hémorragique) ou d’embolie systémique. Malheureusement, l’essai n’a pas pu répondre à la question initiale essentiellement en raison de la petite taille de l’échantillon. L’étude a été arrêtée le 31 décembre 2016 en raison de la lenteur du recrutement des patients et n’a finalement inclus que 690 patients sur une période d’inclusion de 38 mois. L’essai souffre donc du manque de puissance et la non-infériorité n’a pas été établie alors qu’une marge de non-infériorité importante avait été choisie (augmentation du risque de 50% du critère de jugement principal ; hazard ratio, 1,5). Le taux du critère d’évaluation primaire était de 15,7 % dans le groupe anticoagulation orale seule et de 13,6 % dans le groupe bithérapie (hazard ratio, 1,16 ; ; P=0,20 pour la non-infériorité ; P=0,45 pour la supériorité). Parmi les paramètres secondaires, une réduction statistiquement non significative de 17 % du paramètre ischémique composite (décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ischémique ou embolie systémique) et une augmentation statistiquement non significative de 27 % des hémorragies majeures de l’International Society on Thrombosis and Haemostasis ont été observées dans le groupe bithérapie par rapport au groupe anticoagulation orale seule. Ces observations alléchantes ne règlent pas la question de savoir quelle stratégie doit être considérée par défaut dans la pratique clinique (et pour quels patients), mais elles seront utiles pour planifier de futurs essais.

Il convient de souligner certaines limites de l’essai OAC-ALONE. Premièrement, la conception ouverte et l’absence de placebo ont entraîné des différences substantielles dans l’intensité de l’anticoagulation orale entre les 2 groupes. En fait, le groupe bithérapie (traitement antiplaquettaire unique et anticoagulation orale) a reçu une dose plus faible d’anticoagulants, soit des antagonistes de la vitamine K (contrôle moins intensif du rapport international normalisé), soit des anticoagulants oraux directs, par rapport au groupe anticoagulation orale seule, ce qui peut avoir eu un impact sur la sécurité, l’efficacité ou les deux dans ce groupe de traitement. Deuxièmement, il y a eu un taux de passage à l’autre régime antithrombotique de près de 10 % dans les deux groupes, ce qui n’avait pas été prévu et peut avoir réduit davantage la puissance de l’étude. Enfin, la majorité des patients ont reçu de la warfarine comme anticoagulant oral, même si actuellement de nombreux patients reçoivent des anticoagulants oraux directs, et il a été documenté que l’utilisation d’anticoagulants oraux directs au lieu de la warfarine peut permettre une réduction du taux d’hémorragie, en particulier de l’hémorragie intracrânienne.13

La question de savoir si un traitement antiplaquettaire unique doit être ajouté à l’anticoagulation orale chez les patients atteints de coronaropathie stable et de FA reste non résolue. D’autres essais suffisamment puissants sont donc justifiés. Idéalement, il devrait s’agir d’essais randomisés, en double aveugle, contrôlés par placebo, afin d’éviter les différences d’intensité de l’anticoagulation entre les groupes (notamment une anticoagulation plus faible dans le groupe bithérapie). En outre, il pourrait être pertinent de cibler les patients présentant un risque élevé d’événements ischémiques (syndrome coronarien post-aigu, diabète sucré ou intervention coronarienne percutanée complexe) et un faible risque de saignement afin de vérifier définitivement si la bithérapie est bénéfique chez certains patients présentant une coronaropathie stable et une FA concomitantes. Les patients présentant un risque élevé d’hémorragie n’ont pas été exclus de l’essai OAC-ALONE. Enfin, un tel essai pourrait inclure des patients recevant soit une bithérapie (traitement antiplaquettaire unique et anticoagulation orale), soit une anticoagulation seule au moment de l’inclusion, et pas seulement des patients sous bithérapie comme cela a été fait dans la présente étude. Les patients sous bithérapie pourraient être testés pour poursuivre ou arrêter la monothérapie antiplaquettaire, et les patients sous anticoagulation orale seule pourraient être testés pour reprendre ou non la monothérapie antiplaquettaire. Cela pourrait (1) faciliter le recrutement et (2) permettre d’avoir une meilleure vision de ce que devrait être la stratégie antithrombotique par défaut dans la population globale des patients présentant une CA stable et une FA concomitantes.

Disclosions

Le Dr Lemesle rapporte des honoraires personnels pour des conférences ou des consultations de la part d’Amgen, AstraZeneca, Bayer, Biopharma, Bristol-Myers Squibb, Boehringer Ingelheim, Daiichi Sankyo, Eli Lilly, MSD, Pfizer, Sanofi, Servier et The Medicines Company, en dehors du travail soumis.

Notes de bas de page

Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas nécessairement celles des rédacteurs ou de l’American Heart Association.

https://www.ahajournals.org/journal/circ

Gilles Lemesle, MD, PhD, Centre Hémodynamique et Unité de Soins Intensifs de Cardiologie, Institut Cœur Poumon, Bd du Pr Jules Leclercq, Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Lille, 59037 Lille Cedex, France. Email fr

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