La guerre froide est traditionnellement comprise comme un ordre mondial bipolaire dans lequel un bloc communiste et un bloc capitaliste étaient opposés l’un à l’autre. Dans quelle mesure les médias ont-ils produit, contribué et maintenu cet antagonisme ?
Cet essai servira d’introduction au rôle des médias pendant la guerre froide. Il démontrera comment les médias des deux côtés de la division idéologique trient pour produire, contribuer et maintenir l’antagonisme politique et culturel. L’essai montrera également comment la principale méthode utilisée à cette fin était le développement et la distribution de la propagande politique, tant au niveau national qu’international. Un conflit par procuration de la guerre froide et l’implication des médias seront également présentés afin d’offrir une exploration plus détaillée du comportement des médias. Pour commencer, il y aura une brève exploration du contexte historique des médias suivie d’une présentation détaillée de ses actions.
Pour examiner le rôle des médias dans la production, la contribution et le maintien de l’antagonisme de la guerre froide, il est important d’examiner d’abord les médias dans le bon contexte historique. À cette époque, les médias étaient principalement constitués de la presse écrite, du cinéma, de la radio et de la télévision. C’était avant la popularité des institutions médiatiques décentralisées telles que les médias sociaux électroniques. Cela mérite d’être noté car, comme la radiodiffusion nécessite de grandes quantités de financement ; les médias centralisés sont extrêmement sensibles au contrôle de l’État (Bernhard, 1999).
Il est admis que la guerre froide a duré de 1947 à 1991. Durant cette période, le moyen de communication prédominant des médias a évolué de la radio et de la presse écrite vers la télévision. Ce changement s’est accompagné d’une évolution du rôle des médias, qui sont passés du statut de « porte-parole » de l’État à celui de secteur plus indépendant, à première vue. Le rôle des médias dans la production, la contribution et le maintien de l’antagonisme de la guerre froide ne peut être sous-estimé. Lorsque les aspirations américaines pour le capitalisme européen semblaient menacées, les médias des deux blocs sont entrés en action. Alors que l’on ne s’attendrait pas à ce que les actions des médias soviétiques appartenant à l’État adoptent une approche de surveillance, ce qui a pu être surprenant, c’est la mesure dans laquelle les médias occidentaux ont adopté une position de porte-parole (Carruthers, 2011).
L’allégeance de la majorité des médias à la politique gouvernementale et la politisation de son contenu ont commencé presque immédiatement avec le début de la guerre froide. Cela est évident avec les premiers reportages télévisés de la guerre froide souvent scénarisés et parfois produits par l’établissement de la défense (Bernhard, 1999). Ce développement des médias acceptant l’influence gouvernementale était essentiel pour obtenir le soutien du public aux actions de l’État. Le rôle initial des médias a été de motiver la population de l’après-guerre à réaffirmer et à défendre ses allégeances politiques et économiques nationales. Alors que les médias occidentaux privés défendaient obligatoirement les intérêts économiques et militaires occidentaux, les médias soviétiques censurés par l’État étaient tout aussi prêts à défendre les leurs. Tous les médias ont réussi à obtenir le soutien du public pour les actions de leur gouvernement contre l’ennemi étranger. Les gouvernements alliés occidentaux et l’Union soviétique n’auraient jamais pu produire ou maintenir un soutien public et un chauvinisme suffisants pour le long conflit sans la contribution des médias (Doherty, 2003).
Au début du conflit, la couverture médiatique de la guerre froide entre l’Amérique, ses alliés et l’Union soviétique a servi à intensifier la peur domestique d’une destruction imminente. Les campagnes de « Red Scare » des médias occidentaux ont été présentées sur toutes les sources médiatiques applicables. L’utilisation de la presse écrite avec des images facilement décodables et émotives a permis de redéfinir l’identité nationale comme une Amérique vertueuse et patriotique, contre un Est socialiste dangereux et destructeur. Les médias ont diffusé des slogans propagandistes extrêmes tels que « Mieux vaut être mort que rouge ! ». Ce type de propagande politisée servait à provoquer une hystérie sur le communisme et la guerre nucléaire (Bernhard, 1999). Elle s’efforçait d’étouffer toute sympathie nationale pour l’ennemi ou toute résistance au conflit qui se produit habituellement pendant la guerre. Il s’agissait d’une action calculée pour maintenir l’antagonisme du public envers l’ennemi et le rejet de ses politiques politiques et économiques. Les médias ont étendu la propagande à tous les aspects de la vie occidentale, de la radio au cinéma en passant par la télévision, la presse écrite et même les écoles. Le film « Red Nightmare » était enseigné dans le cadre du programme standard et témoigne de l’endoctrinement de la population par les médias avec l’aval de l’État. Cet acte de manipulation des médias pour créer une peur et une paranoïa de masse ne peut pas être sous-estimé, c’était l’effort conscient des puissants pour marginaliser l’opinion impopulaire et diffuser l’ordre du jour dominant. Il a également contribué à la solidification et à la polarisation des différences culturelles et a renforcé l’idéologie politique (Mikkonen, 2010).
Les techniques de pollicisation et de propagande des médias ont également été utilisées comme un outil direct contre l’ennemi. Il y a eu une contribution directe des médias à l’effort de guerre qui a vu les médias s’engager dans une guerre psychologique antagoniste. Ils ont ainsi diffusé de la propagande en Union soviétique via la radio, dans le but de répandre un sentiment pro-capitaliste dans la population soviétique et de créer une culture plus pro-occidentale. Les médias soviétiques utilisaient également la radio dans leurs propres Etats et dans d’autres pays comme une forme de propagande transnationale. Comme les médias soviétiques étaient censurés par l’État, ils cherchaient à légitimer leur apparition en camouflant les origines de leur production. L’URSS possédait de nombreuses stations de radio « internationales » qui étaient en fait situées dans la République soviétique. Ces actions des médias montrent la progression d’un producteur apparemment plus passif de soutien public et de conformité politique, à un outil actif de la guerre elle-même (Chisem, 2012). Les médias des deux côtés de la ligne de partage étaient responsables de la production de l’opinion publique, de la contribution de la propagande et du maintien de l’antagonisme par le biais de la guerre psychologique. Cependant, de nombreux médias occidentaux, tels que Voice America, la BBC et Radio Vatican, ont adopté une approche différente. Tout en maintenant leur loyauté politique envers leurs États-nations, leur mission gouvernementale consistait à projeter les aspects positifs de leurs nations en Union soviétique. Il s’agit d’une forme de diplomatie douce, mais cohérente (Chisem, 2012). Elle visait à contrecarrer la propagande soviétique en offrant de manière subversive une vision positive de l’ennemi perçu. Ce faisant, les médias occidentaux se sont vite rendu compte de la pertinence du fait que l’Union soviétique n’était pas une société homogène. L’empire colonial se compose de nombreuses nationalités, comme les Ukrainiens et les habitants des États baltes. En adaptant les messages radiophoniques aux différentes minorités, l’Occident a pu élaborer une stratégie à long terme visant à perturber l’intégrité territoriale. Cela était profondément antagoniste pour l’État soviétique, qui craignait la croissance des séparatistes nationaux (Chisem, 2012).
Les médias de l’époque de la guerre froide peuvent même être accrédités pour le marketing du conflit. C’est le journaliste américain Walter Lippmann qui a intitulé le conflit » guerre froide » en raison de l’absence de guerre militaire directe (Slaughter, 2012). Cependant, l’absence de conflit militaire n’existait qu’entre l’URSS et l’Amérique. En raison de la destruction mutuellement assurée (DMA) des deux puissances nucléaires, l’Union soviétique et l’Occident ne se sont engagés que dans des guerres par procuration avec des États satellites. La guerre du Vietnam de 1955 à 1975 en est un exemple. Le gouvernement américain considérait la participation à cette guerre comme une mesure préventive essentielle pour empêcher la prise de contrôle du Sud-Vietnam par les communistes. Cela faisait partie de la stratégie occidentale d’endiguement du communisme.
La guerre du Vietnam a été qualifiée de première « guerre télévisée » par Michael Arlen (Slaughter, 2012). Cela était dû au fait que la couverture médiatique du conflit devenait désormais excessivement rapportée par la télévision. Elle s’accompagnait également d’images fortes et émouvantes, comme celle du prix Pulitzer « Vietnam Napalm » (Bernhard, 1999). La couverture télévisée du conflit a été incessante et a duré plusieurs années. Si, au début du conflit, les reportages étaient souvent scénarisés et pro-occidentaux, ce n’était pas le cas aujourd’hui. Les médias ont eu un accès sans entrave au conflit et ont pris plus d’indépendance dans leurs reportages. En conséquence, la réaction du public à l’exposition constante de la brutalité de la guerre a également changé. Les médias occidentaux ont abandonné leur position de porte-parole du gouvernement et ont commencé à adopter une approche plus vigilante (Carruthers, 2011). C’est ce changement, combiné aux reportages graphiques sur la guerre, qui a depuis été accrédité pour avoir contrecarré la victoire américaine. On considère que le rôle des médias a alimenté les sentiments anti-guerre du public américain en lui présentant les atrocités de la guerre dans son propre salon. Cette occurrence montre un déclin du rôle des médias dans le maintien de l’antagonisme et du soutien public au conflit (Mikkonen, 2010).
L’acte le plus évident et le plus crucial des médias, qui a érodé l’antagonisme du public envers l’Union soviétique et le soutien au conflit, a été la publication des Pentagon Papers. Plusieurs journaux, dont le New York Times et le Washington Post, ont publié des extraits de documents gouvernementaux classés top secret (Urban, 1997). Ces documents révélaient une déformation délibérée par le gouvernement de statistiques précédemment publiées et perçues comme indésirables. La déformation concernait le nombre de victimes et d’opérations réussies, qui était nettement inférieur à ce qui avait été annoncé. Les médias démontrent maintenant à la population comment le gouvernement l’a trompée sur les faits de guerre. Ce que les médias ont fait ici, c’est se repositionner comme le seul diffuseur d’informations fiables et éroder la confiance dans le gouvernement. Par la suite, la réaction nationale à ce conflit par procuration de la guerre froide a changé. Les mouvements anti-guerre nationaux et internationaux se développent, et les médias en sont responsables. Cela a vu le rejet massif du » maccarthysme » ; l’accusation de déloyauté envers le pays pour s’opposer à la guerre qui avait fonctionné auparavant pour marginaliser la dissidence (Doherty, 2003).
Ce qui est maintenant évident, c’est que tout au long de la guerre froide, les médias ont joué un rôle central dans la production et le maintien de l’antagonisme entre les deux parties du conflit. Les médias soviétiques et occidentaux se dénaturaient mutuellement comme inférieurs et entretenaient une rhétorique du « nous et eux ». Les opinions dominantes sont imposées et les détracteurs sont marginalisés. Les médias ont produit des identités nationales vertueuses pour se légitimer et dénoncer leurs ennemis. (DOHERTY,(2003) Une contribution substantielle des médias au maintien de l’antagonisme de la Guerre froide a été la création d’un état de peur prolongé. La propagande sensationnelle et les reportages politisés ont développé une peur sociétale de la destruction imminente et une paranoïa sévère. Cela a aidé le gouvernement à s’assurer le soutien de la population. Les médias ont également été un outil direct du conflit en communiquant avec la population de l’Union soviétique. Il s’agissait en soi d’une action extrêmement antagoniste qui a très bien fonctionné comme une méthode de soft power de l’Occident (Bernhard, 1999).
Lorsque les médias sont passés à une position de plus en plus vigilante en matière de reportage, une partie de l’antagonisme qu’ils avaient produit contre l’Union soviétique a été dirigée vers le gouvernement national. Dans l’ensemble, les médias ont été les protagonistes de la guerre froide en cultivant et en maintenant l’antagonisme au sein de la division bipolaire. Ils y sont parvenus grâce à des reportages à sensation, à l’exploitation des clivages culturels, à l’entretien de la peur sociale et à la production de propagande. Sa contribution la plus explicite et directe à l’antagonisme de la guerre froide a été la production d’une stratégie de communication subversive avec la populace de l’ennemi.
Bibliographie
Bernhard, N. (1999) ‘U.S Television News and Cold War Propaganda, 1947-1960’. Cambridge : The Press Syndicate of the University of Cambridge.
Carruthers, Susan L. (2011) ‘Total War’. (2e édition) Houndmills : Palgrave
Chisem, J. (2012) ‘La propagande américaine et la guerre froide culturelle’ Disponible sur : https://www.e-ir.info/2012/08/16/u-s-propaganda-and-the-cultural-cold-war/. Consulté le : 12/03/2013
Doherty,T (2003) ‘Cold War, Cool Medium : La télévision, le maccarthysme et la culture américaine’ New York : Columbia University Press
Mikkonen, S. (2010) ‘Kritika : Explorations en histoire russe et eurasienne’. New York : Slavica Publishers.
Slaughter, A. (2012) ‘The Media Cold War’. Disponible à l’adresse suivante : http://www.project-syndicate.org/commentary/the-media-cold-war-by-anne-marie-slaughter. Consulté le : 14/03/2013
Urban,G. (1997) ‘Radio Free Europe et la poursuite de la démocratie : Ma guerre au sein de la guerre froide’. New York : Vail-Ballou Press.
–
Écrit par : Alexander Stafford
Écrit à : Université Queen’s de Belfast
Écrit pour : Dr Debbie Lisle
Date de rédaction : Mars 2013
Lectures complémentaires sur les relations internationales électroniques
- Une guerre froide qui bout : Les origines de la guerre froide en Asie
- Questionner l’inéluctabilité de la guerre froide
- Contre-espionnage : Les leçons durables de la guerre froide
- L’initiative de défense stratégique de l’administration Reagan pendant la guerre froide
- Fukuyama, Mearsheimer ou Huntington avaient-ils raison au sujet de l’après-guerre froide ?
- La transition de la guerre froide de Jimmy Carter d’un » agneau » à un » lion »
.