Les troubles des canaux ioniques (channelopathies) sont de plus en plus identifiés, ce qui en fait un domaine de la neurologie en pleine expansion. La fonction des canaux ioniques peut être contrôlée par des changements de tension (voltage gated), par une interaction chimique (ligand gated), ou par une perturbation mécanique. Les premières maladies reconnues comme des channelopathies ont été les channelopathies commandées par le voltage à l’origine de maladies musculaires héréditaires : les myotonies non dystrophiques et les paralysies périodiques familiales. La paramyotonie congénitale est due à des mutations dans le gène codant pour la sous-unité α1 du canal sodique, tandis que la maladie de Thomsen (myotonie congénitale autosomique dominante) et la maladie de Becker (myotonie congénitale autosomique récessive) sont des troubles alléliques associés à des mutations dans un gène codant pour le canal chlorure du muscle squelettique. La paralysie périodique hyperkaliémique familiale est due à des mutations dans le même gène du canal sodique que celui affecté dans la paramyotonie congénitale, tandis que la paralysie périodique hypokaliémique familiale résulte de mutations dans le gène codant pour la sous-unité α1 d’un canal calcique du muscle squelettique1.
La première démonstration que les canalopathies pouvaient affecter les nerfs aussi bien que les muscles a eu lieu en 1995, lorsque des chercheurs ont découvert que l’ataxie épisodique de type 1, une maladie autosomique dominante rare, résulte de mutations dans l’un des gènes des canaux potassiques.2 L’altération de la fonction des canaux potassiques, qui limite normalement l’excitabilité nerveuse, entraîne l’ondulation des muscles (myokymie) du visage et des membres observée dans cette maladie. L’ataxie épisodique de type 2, également autosomique dominante, n’est pas associée à la myokymie mais répond de façon spectaculaire à l’acétazolamide, une caractéristique inattendue qu’elle partage avec de nombreuses channelopathies. La suspicion qu’il pouvait s’agir d’une canalopathie a été confirmée par la découverte de mutations dans un gène codant pour la sous-unité α1 d’un canal calcique spécifique du cerveau.3 Des mutations dans ce même gène peuvent également causer la migraine hémiplégique familiale et la dégénérescence spinocérébelleuse de type 6.4 On ne sait pas comment différentes mutations du même gène peuvent donner lieu à des phénotypes aussi différents. Dans le cas de la myotonie congénitale et de l’hyperekplexie familiale, les mutations ponctuelles du même gène peuvent entraîner une transmission autosomique récessive ou dominante.
Les canalopathies à libération de ligands qui ont été récemment décrites comprennent la maladie du sursaut familial, qui est due à des mutations de la sous-unité α1 du récepteur de la glycine, et l’épilepsie dominante nocturne du lobe frontal, qui est due à des mutations de la sous-unité α4 du récepteur nicotinique de l’acétylcholine5,6. Un gène de la choréoathétose paroxystique familiale a été cartographié dans une région du chromosome 1p où se trouve un groupe de gènes de canaux potassiques.7
Les canalopathies peuvent être acquises aussi bien qu’héritées. Les causes reconnues sont les toxines et les phénomènes auto-immuns. La toxine marine ciguatoxine, qui contamine les poissons et les crustacés, est un puissant bloqueur des canaux sodiques qui provoque une apparition rapide d’engourdissement, une paresthésie et une dysesthésie intenses, ainsi qu’une faiblesse musculaire8. Les anticorps dirigés contre les canaux potassiques des nerfs périphériques peuvent entraîner une neuromyotonie (syndrome d’Isaac).9 La myasthénie de Lambert-Eaton, qui est associée au carcinome à petites cellules du poumon dans 60 % des cas, est causée par des auto-anticorps dirigés contre un canal calcique présynaptique à la jonction neuromusculaire et contre de multiples canaux calciques exprimés par les cellules du cancer du poumon.10 Les anomalies neurophysiologiques observées dans le syndrome de Guillain-Barré, la polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique et la sclérose en plaques, traditionnellement considérées comme le résultat d’une démyélinisation, pourraient également s’expliquer par un dysfonctionnement des canaux sodiques. La nature transitoire de certains symptômes de la sclérose en plaques et la récupération rapide parfois observée dans la sclérose en plaques et le syndrome de Guillain-Barré sont plus compatibles avec une canalopathie temporaire médiée par des anticorps qu’avec un processus plus long de démyélinisation et de remyélinisation. En fait, le liquide céphalorachidien des patients atteints du syndrome de Guillain-Barré ou d’une polyneuropathie inflammatoire démyélinisante chronique provoque une diminution transitoire des courants sodiques neuronaux.11,12
Toutes ces channelopathies présentent des caractéristiques cliniques étonnamment similaires. Typiquement, on observe des crises paroxystiques de paralysie, de myotonie, de migraine et d’ataxie précipitées par des stress physiologiques. Une channelopathie peut provoquer un gain anormal de fonction (comme la myokymie, la myotonie et l’épilepsie) ou une perte anormale de fonction, (comme la faiblesse ou l’engourdissement) selon que la perte de fonction du canal entraîne une excitabilité excessive de la membrane ou une inexcitabilité de la membrane.
Les canaux ioniques sont constitués de multiples sous-unités, chacune ayant une structure très similaire mais des caractéristiques électrophysiologiques différentes. L’expression neuronale différente et la combinaison de ces sous-unités en complexes donnent lieu à une énorme diversité dans les propriétés et la distribution des canaux ioniques, ce qui se reflète dans la variété des maladies qui constituent les channelopathies neurologiques. De nombreuses channelopathies répondent de manière prévisible aux médicaments stabilisateurs de membrane tels que la mexilitine, ainsi qu’à l’acétazolamide. La spécificité neuronale des canaux ioniques offre la possibilité d’une pharmacothérapie ciblée semblable aux agonistes et antagonistes sélectifs des récepteurs actuellement disponibles : La 3,4-diaminopyridine, un bloqueur des canaux potassiques, peut soulager les symptômes des patients atteints du syndrome de Lambert-Eaton et améliorer la force des jambes chez les patients atteints de sclérose en plaques.13,14 Des médicaments modulateurs de canaux spécifiques sont actuellement en cours de développement pour la migraine, la douleur chronique et les dysrythmies cardiaques et ceux-ci pourraient être utiles pour les channelopathies neurologiques.