Le syndrome du compartiment aigu du membre est une urgence chirurgicale caractérisée par une pression élevée dans un compartiment ostéofascial inflexible. L’élévation soutenue de la pression tissulaire réduit la perfusion capillaire en dessous d’un niveau nécessaire à la viabilité des tissus, et des lésions musculaires et nerveuses irréversibles peuvent survenir en quelques heures. Les causes incluent les traumatismes, les procédures de revascularisation, les brûlures et l’exercice physique. Quelle que soit la cause, la pression intra-compartimentale accrue doit être rapidement décompressée par une fasciotomie chirurgicale. Un diagnostic manqué et une décompression tardive sont associés à une morbidité importante due à une nécrose ischémique irréversible des muscles et des nerfs du compartiment. La sensibilisation accrue à ce syndrome et l’avènement des mesures de la pression intra-compartimentale ont permis d’envisager un diagnostic et un traitement précoces. Des publications récentes ont cependant mis en évidence certains des problèmes associés aux mesures de la pression intra-compartimentale.1,2 En outre, des fasciotomies tardives ou mal réalisées peuvent contribuer à la morbidité.
La caractéristique clinique essentielle du syndrome des loges chez les patients conscients est une douleur sévère hors de proportion avec la blessure, aggravée par un étirement musculaire passif. La perte sensorielle dans la distribution des nerfs traversant les compartiments affectés peut être un signe précoce utile. Le diagnostic peut être difficile en présence d’une altération de la conscience, chez les enfants et chez les patients ayant reçu des blocs nerveux régionaux. Bien que la pression intracompartimentale puisse être mesurée facilement à l’aide d’appareils facilement disponibles, une grande variation de la valeur de la pression intracompartimentale est acceptée comme diagnostic.1 La différence entre la pression diastolique et la pression intracompartimentale a été suggérée comme un indicateur plus sensible de la pression de perfusion tissulaire, et une valeur de 30 mm Hg ou moins a été recommandée comme seuil pour les fasciotomies.3,4 Mais un traitement basé sur cette seule mesure peut conduire à une chirurgie inutile.1 Une spécificité accrue peut être obtenue en combinant la pression de perfusion réduite avec la présence de symptômes cliniques, mais au prix d’une sensibilité beaucoup plus faible.1 Les mesures de la pression intra-compartimentale ne sont pas nécessaires si le diagnostic d’un syndrome de compartiment est cliniquement apparent et sont probablement mieux réservées aux patients non coopératifs ou aux cas équivoques, où des mesures en série peuvent être nécessaires. Il est préoccupant de constater qu’au Royaume-Uni, moins de 50 % des hôpitaux disposent d’appareils de mesure dédiés à la pression intra-compartimentale.5
Malgré les problèmes associés aux longues incisions cutanées,6 la fasciotomie ouverte par incision de la peau et du fascia est la méthode la plus fiable pour une décompression adéquate des compartiments.7 Mais la réalisation de fasciotomies sur un membre tendu et gonflé peut être une entreprise intimidante et difficile. Nous recommandons une technique utilisant deux incisions,8 qui est approuvée par le comité de travail conjoint de la British Association of Plastic Surgeons et de la British Orthopaedic Association.9 Les compartiments postérieurs superficiel et profond sont décompressés par une incision longitudinale médiane placée 1 à 2 cm en arrière du bord médial du tibia. Une seconde incision longitudinale située à 2 cm latéralement par rapport au bord antérieur du tibia permet de décomprimer les compartiments antérieur et péronier. Le placement précis des incisions est essentiel. L’incision médiane doit être antérieure à l’artère tibiale postérieure pour éviter de blesser les vaisseaux perforants qui alimentent la peau utilisée pour les lambeaux fasciocutanés locaux.9 Un placement trop antérieur entraîne l’exposition du tibia et de toute fracture sous-jacente.
La palpation des bords sous-cutanés du tibia peut être difficile dans la jambe enflée et nous recommandons de marquer des repères anatomiques avant de faire les incisions. Il faut faire attention lors de la décompression du compartiment postérieur profond, car le faisceau neurovasculaire tibial postérieur se trouve juste en profondeur du fascia de placement (voir figure). Une incision latérale placée par inadvertance sur le péroné exposera le périoste, et une incision trop étendue en direction distale peut exposer les tendons péroniers. L’exposition de l’os ou des tendons augmente les risques de retard de guérison, d’infection et finalement d’amputation. Après la décompression, la viabilité du muscle est soigneusement évaluée et tous les tissus non viables sont radicalement excisés.
La prise en charge des plaies de fasciotomie reste controversée. Des complications de la plaie ont été enregistrées chez 51% des patients qui ont eu une fermeture primaire ou une fermeture primaire retardée par rapport à 5% qui ont eu des greffes de peau fendue.10 Si tous les tissus dévitalisés ont été excisés en toute confiance, nous favorisons une couverture immédiate avec des greffes de peau fendue maillée, fixées avec un pansement d’aspiration en mousse. L’aspect cosmétique peut être amélioré par une révision ultérieure de la cicatrice.
Les fasciotomies ne sont pas des procédures bénignes, et certaines preuves impliquent qu’elles peuvent conduire à une insuffisance veineuse chronique en raison de l’altération de la pompe du muscle du mollet.11 Le rôle de la fasciotomie dans les cas de syndrome de compartiment qui ont été diagnostiqués à un stade tardif (après 8 heures) est discutable. Les déficits myoneuraux établis se rétablissent rarement après une fasciotomie. De plus, les fasciotomies effectuées après 35 heures de blessure étaient invariablement associées à une infection sévère et même à la mort.12 Le syndrome de compartiment reste une condition difficile, mais une morbidité significative peut être évitée par un diagnostic et une décompression rapides en utilisant une technique de fasciotomie prudente à deux incisions.