Prévalence et spécificité des allo-anticorps anti-RB chez les patients indiens fréquentant un hôpital de soins tertiaires

Abstract

Contexte. L’allo-immunisation des globules rouges (GR) résulte de la disparité génétique des antigènes des GR entre le donneur et le receveur. Les données sur le taux d’allo-immunisation dans la population générale des patients sont rares, surtout dans les pays à ressources limitées. Nous avons entrepris cette étude pour déterminer la prévalence et la spécificité des allo-anticorps anti-érythrocytes chez les patients admis dans diverses spécialités cliniques d’un hôpital de soins tertiaires du nord de l’Inde. Méthodes. Le dépistage des anticorps a été effectué chez 11 235 patients sur la plateforme automatisée QWALYS 3 (Diagast, Loos, France). L’identification des anticorps a été réalisée à l’aide d’un panel d’identification à 11 cellules (ID-Diapanel, Diamed GmbH, Suisse). Résultats. L’incidence globale de l’allo-immunisation des GR chez les patients transfusés était de 1,4 % (157/11235), l’anti-E étant la spécificité la plus courante (36,3 %), suivie par l’anti-D (16 %), l’anti-c (6,4 %), l’anti-c + E (6,4 %), l’anti-C + D (5,1 %) et l’anti-K (4,5 %). L’incidence la plus élevée d’allo-immunisation a été observée chez les patients en hématologie/oncologie (1,9 %), alors que dans les autres spécialités, la fourchette était de 0,7 à 1 %. Conclusion. Comme l’allo-immunisation complique les résultats de la transfusion, les auteurs recommandent le dépistage des anticorps avant la transfusion et la délivrance de sang compatible Rh et Kell aux patients qui justifient des besoins transfusionnels élevés à l’avenir.

1. Introduction

La transfusion de globules rouges (GR) est un traitement salvateur pour les complications de l’anémie et le traitement des symptômes et des signes d’hypoxie. Cependant, le risque d’allo-immunisation des GR est toujours une préoccupation pour les patients recevant des transfusions de GR . L’allo-immunisation se produit en raison des différences antigéniques des globules rouges entre le donneur et le receveur ou entre la mère et le fœtus. Comme il n’y a pas deux humains, à l’exception des vrais jumeaux, qui ont le même patrimoine génétique, la transfusion sanguine expose le patient à de nombreux antigènes « étrangers ». Ces antigènes étrangers sont des immunogènes potentiels qui peuvent entraîner le développement d’anticorps chez le receveur dans les jours, les semaines ou les mois qui suivent une transfusion.

Les alloanticorps peuvent provoquer une maladie hémolytique du nouveau-né (MHN), une réaction transfusionnelle hémolytique (RTH, aiguë ou retardée), ou une diminution de la survie des GR transfusés. La présence d’allo-anticorps chez les patients entraîne une difficulté à trouver des unités de GR compatibles et, par conséquent, un retard dans la délivrance de sang compatible. La prévalence des allo-anticorps cliniquement significatifs varie de moins de 0,3 % à 60 % des échantillons, selon les populations étudiées et la sensibilité de la méthode de test. Il n’est pas rare de trouver des autoanticorps en même temps que des alloanticorps, dont la prévalence peut atteindre 28 %. La présence concomitante d’auto-anticorps et d’alloanticorps peut compliquer davantage le bilan sérologique et rendre plus difficile l’obtention d’un sang compatible par compatibilité croisée, ce qui peut entraîner une diminution supplémentaire de la survie des GR après la transfusion. En théorie, le risque d’allo-immunisation peut être considérablement réduit par le typage des antigènes cliniquement significatifs des donneurs et des patients. Cet appariement étendu serait une solution ultime, bien que les coûts et la logistique associés soulèvent de sérieuses préoccupations, en particulier dans les pays aux ressources limitées. De plus, en raison de la distribution différente des groupes sanguins chez les patients et dans la population générale, la gestion des stocks dans le cadre de l’appariement croisé étendu posera de sérieux problèmes. Les données sur la fréquence relative des allo-anticorps anti-érythrocytaires dans la population générale des patients recevant des transfusions occasionnelles d’érythrocytes n’ont pas été étudiées de manière approfondie. Dans la présente étude, nous avons analysé la prévalence et la spécificité des allo-anticorps anti-érythrocytaires dans une population de patients de diverses spécialités cliniques en utilisant le système automatisé QWALYS 3 (Diagast, Loos, France) pour le dépistage des anticorps. Les échantillons positifs au dépistage d’anticorps ont été analysés plus en détail pour leur spécificité d’anticorps.

2. Matériel et méthodes

Les données du dépistage d’anticorps entre les années 2012 et 2013 ont été extraites des dossiers de cas au département de médecine transfusionnelle, All India Institute of Medical Sciences, New Delhi, et évaluées pour la présence d’allo-anticorps. Pendant la période d’étude, tous les patients pour lesquels des demandes de transfusion de routine ont été reçues ou une quelconque incompatibilité a été signalée ont été inclus dans l’étude. Tous les cas ont fait l’objet d’un dépistage d’anticorps et, s’ils étaient positifs, ont été soumis à une caractérisation/identification des anticorps. Toutes les femmes enceintes et les patients ne présentant que des auto-anticorps ont été exclus de l’étude. Tous les patients de chirurgie cardiaque, de neurochirurgie et de traumatologie ont également été exclus car ces spécialités ne sont pas prises en charge par notre établissement de transfusion.

2.1. Bilan sérologique

Le groupage sanguin et le dépistage des anticorps ont été réalisés sur QWALYS 3 (système entièrement automatisé, Diagast, Loos, France) basé sur la technologie de magnétisation des érythrocytes. Ce système utilise ABD-Lys et Hemascreen pour le groupage sanguin et le dépistage des anticorps, respectivement. Le principe et la méthodologie détaillés de ce système sont très bien décrits par Schoenfeld et al. En bref, le système utilise l’hémagglutination magnétique et évite les étapes de centrifugation et de lavage. Tous les échantillons de sérum positifs au dépistage automatisé des anticorps ont été envoyés au laboratoire d’immuno-hématologie où l’identification des anticorps a été effectuée manuellement à l’aide d’un panel commercial de 11 cellules rouges (ID-DiaPanel, BioRad, Suisse). Un autocontrôle utilisant les cellules et le sérum du patient était testé en parallèle de chaque dépistage pour exclure la présence d’auto-anticorps.

2.2. Protocole de transfusion sanguine

Les patients ayant un dépistage d’anticorps négatif ont reçu une transfusion de GR compatibles ABO et Rh(D) par une technique de crossmatch spin immédiat. Pour les patients allo-immunisés, des GR compatibles avec l’antigène négatif ont été transfusés par crossmatch. Les cliniciens traitants étaient informés de la présence et de la nature de l’allo-anticorps.

2.3. Analyse statistique

L’analyse et la gestion des données ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS version 16 (SPSS, Inc., Chicago, IL, USA).

3. Résultats

Au total, 11235 patients (6573 hommes et 4662 femmes, âge moyen 32,37 ans et fourchette 1-83 ans) de diverses spécialités cliniques ayant reçu des GR emballés ont été inclus dans l’étude. Les données démographiques et la répartition ABO et Rh sont présentées dans le tableau 1. Le dépistage des anticorps était positif chez 215 patients. Après une caractérisation plus poussée, 157 (73%) patients se sont avérés avoir des allo-anticorps et 58 (27%) patients n’ayant que des auto-anticorps ont été exclus de l’étude. La présence concomitante d’auto-anticorps a été constatée chez 9 patients (0,08 %). La prévalence globale de l’allo-immunisation des GR était de 1,4 %. Les femmes avaient un taux d’allo-immunisation plus élevé de 2,1 % contre 0,9 % chez les hommes ; la différence était cliniquement significative (). La répartition des patients en fonction des spécialités cliniques est indiquée dans le tableau 2. Le plus grand nombre de patients allo-immunisés appartenait au groupe hématologie/oncologie () avec un taux de prévalence de 1,9 %, alors que dans les autres spécialités, le taux d’allo-immunisation se situait entre 0,7 et 1,0 %. Au total, 13 allo-anticorps différents, isolés ou combinés, ont été identifiés chez 157 patients. Les anticorps dirigés contre le système de groupes sanguins Rh étaient les plus fréquents, étant présents chez 120 patients (76,4 %). 19 patients (12,1%) ont montré la présence d’allo-anticorps multiples. La prévalence des auto-anticorps et des allo-anticorps était de 5,7 % () du total des patients allo-immunisés. Dans 12 cas (7,6 %), la spécificité des anticorps n’a pu être déterminée. Les spécificités des allo-anticorps identifiés sont présentées dans le tableau 3.

.

.

.

.

.

Total des patients Patients allo-immunisés
Sexe
Homme 6573 57
Femme 4662 100
Groupe d’âge (années)
<10 2427 9
11-20 2168 37
21-30 1831 32
31-40 1393 30
41-50 1180 21
51-60 1292 19
>60 944 9
Distribution des groupes ABO
O 3449 56
A 2764 25
B 3910 52
AB 1112 24
Rh group distribution
Rh D positif 10392 115
Rh D négatif 843 42
Tableau 1
Profil démographique de la population étudiée.

Spécialité Nombre total de patients Age moyen Patients allo-immunisés Auto-… + alloanticorps Sexe
M/F
Hématologie/oncologie 6282 41.6 ± 17,6 118 (1,9%) 7 46/72
Gynécologie 964 39.8 ± 18,8 8 (0,8%) 0 0/8
Orthopédie 1575 43,75 ± 14,1 11 (0.7%) 0 5/6
Néphrologie/urologie 923 33,6 ± 11,7 8 (0.9%) 0 3/5
Gastroentérologie/gastérochirurgie 908 35,5 ± 12.0 6 (0,7%) 0 1/5
Autres 583 30,1 ± 11.2 6 (1%) 2 1/5
Total 11235 157 (1.4%) 9 (0,08%)
Tableau 2
Répartition des patients selon les spécialités cliniques.

Anti-corps(s) Nombre de patients Pourcentage
Alloanticorps
Anti-c 10 6.4
Anti-C 3 1.9
Anti-c et anti-E 10 6.4
Anti-C + D 8 5.1
Anti-C + D + E 1 0.6
Anti-D 25 16.0
Anti-e 1 0.6
Anti-E 57 36.3
Anti-Fya 1 0.6
Anti-Jka 3 1.9
Anti-K 7 4.5
Anti-Kpa 1 0.6
Anti-Lea 4 2.5
Anti-Lua 1 0.6
Anti-M 4 2.5
Auto + alloanticorps
Auto + alloantic-c 2 1,3
Auto + alloantic-E 3 1.9
Auto- + alloanti-K 3 1,9
Auto- + alloanti-S 1 0,6
Non déterminé 12 7.6
Total 157 ≈100%
Tableau 3
Spécificités des allo-anticorps.

4. Discussion

L’allo-immunisation des globules rouges résulte de la disparité antigénique des globules rouges entre donneur et receveur ou entre mère et fœtus. Les protocoles actuels de test standard de pré-transfusion exigent la détection et l’identification d’anticorps cliniquement significatifs réagissant dans la phase d’anti-globuline humaine (AHG) après incubation à 37°C.

Dans la présente étude, le taux global d’allo-immunisation était de 1,4%, ce qui était faible par rapport à une étude faite par Thakral et al. qui a rapporté une prévalence de 3,4% . Cette différence pourrait être due à la diversité des populations étudiées. Dans une étude similaire menée à Téhéran, la prévalence de l’allo-immunisation était de 0,97 %, ce qui est comparable à notre étude. Dans notre étude, le taux d’allo-immunisation était plus élevé chez les femmes que chez les hommes (2,1 contre 0,9 %). Une revue systématique par Verduin et al. a également montré que les femmes ont un taux d’allo-immunisation légèrement plus élevé que les hommes, bien qu’ils déclarent catégoriquement que, sur la base de la seule différence de sexe, les résultats ne justifient pas de recommander un appariement supplémentaire pour les femmes. La prévalence élevée de l’allo-immunisation en hématologie/oncologie (, 1,9 %) pourrait être due à l’incidence élevée des expositions antigéniques des GR dans ce groupe. Dans les autres spécialités, le taux d’allo-immunisation variait de 0,7 à 1,0 %. Dans une étude similaire, Schonewille a également signalé que les patients transfusés occasionnellement ont un taux d’allo-immunisation compris entre 1 et 3 %. Les anticorps les plus répandus dans notre étude étaient contre les antigènes E (36,3 %), D (16,0 %), et c (6,4 %) et c + E (6,4 %), C + D (5,1 %), et K (4,5 %). Al-Joudi et al. ont également signalé que l’anticorps anti-E était le plus courant. L’étude de Thakral et al. a également montré une prévalence de 22,2 % d’anti-E ; cependant, l’allo-anticorps le plus commun qu’ils ont détecté était l’anti-c (38,8 %). Les différences de spécificité des anticorps pourraient être attribuées à la différence de la population étudiée dans les deux centres. Dans notre étude de 34 patients présentant des anticorps anti-D (seuls ou combinés), la majorité () étaient des femmes multipares qui auraient pu former des anticorps anti-D en raison de grossesses ou de transfusions antérieures. Les 12 autres patients étaient dépendants des transfusions en raison de conditions médicales/oncologiques sous-jacentes et ont pu recevoir des transfusions incompatibles avec le rhésus, ce qui a entraîné la formation d’anti-D chez ces patients. Les conditions cliniques sous-jacentes de ces 12 patients multitransfusés étaient la thalassémie (n-6), l’anémie aplastique (n-3), le carcinome (n-2) et l’AIHA (n-1). Une étude de Schonewille et al. a évalué l’allo-immunisation dans les maladies myéloprolifératives et lymphoprolifératives et a rapporté que 4 (7,8 %) patients avaient formé des anticorps anti-D . Sadeghian et al. ont étudié le développement de l’allo-immunisation chez des patients iraniens atteints de thalassémie et dépendants de transfusions et ont constaté que 8 des 9 patients allo-immunisés ont formé des anticorps anti-D au cours de la maladie avec une prépondérance marquée chez les patients de sexe féminin.

La plupart des études réalisées en dehors de l’Inde rapportent une incidence d’anti-K aussi élevée que 23%. La faible prévalence des anti-K dans notre étude (4,5%) pourrait être due à la faible fréquence de l’antigène de Kell dans la population indienne (1,97%) par rapport à la fréquence de 8,8% dans la population caucasienne. Dix-neuf patients allo-immunisés (12,1 %) présentaient des anticorps multiples. Al-Joudi et al. ont également signalé la présence d’anticorps multiples chez 23,1 % des patients. Étant donné que le dépistage des anticorps avant la transfusion dans les échantillons des patients n’est pas une pratique courante en Inde, ces patients pourraient avoir reçu du sang dont l’antigène n’était pas compatible, ce qui a entraîné la formation d’allo-anticorps multiples. Malheureusement, les dossiers des transfusions précédentes reçues ailleurs n’étaient pas à notre disposition. Neuf patients (5,7 %) présentaient des auto-anticorps coexistants avec les allo-anticorps. Ahrens et al. avaient signalé un risque accru de formation d’auto-anticorps en cas d’allo-immunisation concomitante. Nous n’avons pas été en mesure de déterminer la spécificité du ou des anticorps chez 12 (7,6 %) patients. Cela peut être dû à l’absence de panels de globules rouges indigènes. Salamat et al. ont également souligné que les panels de globules rouges provenant de la population locale seraient meilleurs pour la détection des anticorps, car les panels de globules rouges provenant de populations non indigènes peuvent manquer certains anticorps contre les antigènes de la population locale. La fréquence des allo-anticorps antiérythrocytaires varie considérablement en fonction de nombreux facteurs, par exemple, les données démographiques, le nombre de transfusions, la grossesse, la constitution génétique, la compétence immunitaire, les facteurs de maladie, le moment et la fréquence du dépistage, et la sensibilité de la méthodologie . Bien que les patients des autres spécialités ne soient pas exempts du risque de formation d’allo-anticorps, nous avons trouvé la plus grande proportion de patients allo-immunisés dans le groupe hématologie/oncologie. La question du dépistage systématique des anticorps chez tous les patients nécessitant une transfusion, qui plus est dans des pays aux ressources limitées, est très discutable. Ainsi, pour la prévention de l’allo-immunisation, les auteurs recommandent la transfusion de sang apparié aux antigènes Rh et Kell pour les patients dont l’histoire naturelle de la maladie dicte des besoins transfusionnels élevés à l’avenir.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts concernant la publication de cet article.

Laisser un commentaire