Cas
Un homme de 65 ans résidant dans une maison de retraite est envoyé aux urgences avec une toux productive, de la fièvre et une pression artérielle basse, et on lui diagnostique une pneumonie communautaire. Il a des antécédents de tabagisme, d’hypertension et d’accident vasculaire cérébral moyen droit. Ses analyses d’admission montrent un taux d’hémoglobine de 9,0 g/dL. Le lendemain de son admission, son hypotension s’est résolue et il dit se sentir beaucoup mieux après avoir reçu deux litres de liquides par voie intraveineuse et des antibiotiques. Cependant, son taux d’hémoglobine est de 7,9 g/dL. Il n’y a pas de signe d’hémorragie. Ce patient hospitalisé doit-il être transfusé ?
Overview
Quand donner une transfusion de globules rouges est une question clinique fréquemment rencontrée par les hospitaliers. Les personnes souffrant de pertes sanguines aiguës, de pertes sanguines chroniques, d’anémie de maladie chronique et d’anémie hémolytique reçoivent souvent des transfusions. On estime que jusqu’à 25 % des globules rouges transfusés aux États-Unis sont inappropriés.1-4 De nombreux médecins transfusent en se basant sur un nombre plutôt que sur des résultats objectifs. La surconsommation est fréquente en raison de la grande disponibilité des globules rouges, de la croyance que les complications sont peu fréquentes et de la crainte infondée de résultats indésirables si un patient n’est pas transfusé.
La tachycardie, l’hypotension artérielle et la baisse de la saturation en oxygène sont des signes que les cliniciens peuvent utiliser pour prendre la décision de transfuser. Les changements électrocardiographiques associés à l’hypoxie tissulaire peuvent se produire à un taux d’hémoglobine <5 g/dL chez les adultes en bonne santé. Des études montrent que la mortalité et la morbidité augmentent rapidement à des taux <5,0 à 6,0 g/dL.5 Actuellement, il n’existe pas de test sérologique diagnostique pour l’hypoxie tissulaire, qui est la raison physiologique de donner des globules rouges.
La transfusion de globules rouges peut être une thérapie qui sauve la vie ; cependant, ce n’est pas une intervention bénigne. On estime que 10% des réactions transfusionnelles auront des effets indésirables.6 L’utilisation de globules rouges expose les patients à des réactions transfusionnelles hémolytiques, à des infections et à des lésions pulmonaires aiguës liées à la transfusion.7,8 De plus, des dépenses économiques inutiles sont engagées et une ressource rare est détournée d’autres patients.
Les hospitaliers devraient être capables de décrire les indications de la transfusion de globules rouges et de comprendre les preuves pour et contre son utilisation. Les médecins qui apprécient les risques et les avantages de l’utilisation des globules rouges ont tendance à transfuser moins de sang que ceux qui sont moins informés. 9, 10
Examen des données
Résultats généraux : Malgré la longue histoire de la transfusion de globules rouges, qui remonte à 1818, lorsque James Blundell a réussi à sauver une femme exsangue d’une hémorragie post-partum, peu de preuves ont été accumulées pour son utilisation appropriée. Dans les années 1980, la découverte du virus de l’immunodéficience humaine a suscité des inquiétudes quant à la sécurité des produits sanguins. Cela a stimulé la recherche et un débat sur les pratiques de transfusion de globules rouges, avec un nombre croissant de publications qui ne soutiennent pas la transfusion pour un déclenchement arbitraire, par exemple la « règle 10/30 », qui fait référence à une hémoglobine de 10 g/dL ou un hématocrite de 30 %.9
Des études d’observation ont soulevé des inquiétudes en liant la morbidité et la mortalité à l’utilisation de globules rouges. Parmi 1 958 patients chirurgicaux ayant refusé une transfusion sanguine pour des raisons religieuses, on a constaté une augmentation de la mortalité lorsque le taux d’hémoglobine était <6,0 g/dL. Les taux d’hémoglobine supérieurs à 7,0 g/dL n’ont pas entraîné d’augmentation de la mortalité.11 Une récente analyse exhaustive a porté sur 272 596 patients en chirurgie, en traumatologie et en soins intensifs dans 45 études d’observation. L’examen comprenait des études avec des points finaux, y compris la mortalité, les infections, le syndrome de dysfonctionnement multi-organique et le syndrome de détresse respiratoire aiguë, et a conclu que les transfusions sont associées à un risque plus élevé de morbidité et de mortalité.12 (voir Figure 1, p. 20)
Des taux plus élevés d’infection associés aux transfusions sont survenus chez les patients présentant un traumatisme postopératoire, des blessures aiguës, un cancer gastro-intestinal en cours de chirurgie, un pontage coronarien, une chirurgie de la hanche, des brûlures, une maladie critique et des patients nécessitant une ventilation. (voir Figure 2, p. 21)12 Le risque accru d’infection est probablement dû à la dépression transitoire du système immunitaire induite par la transfusion de globules rouges. Des séjours hospitaliers prolongés chez les patients en chirurgie colorectale postopératoire et les patients en soins intensifs ont été associés aux transfusions13.
Figure 1 : Association entre la transfusion sanguine et le risque de décès (odds ratio et 95% de confiance
Une méta-analyse des quelques essais contrôlés randomisés favorise l’utilisation restrictive des globules rouges. La prépondérance des preuves provient de l’essai Transfusion Requirements in Critical Care (TRICC).14 Cet essai contrôlé randomisé chez des patients médicaux et chirurgicaux gravement malades a démontré qu’une stratégie restrictive (déclenchement de la transfusion <7,0 g/dL) et était aussi efficace qu’une stratégie de transfusion libérale (déclenchement de la transfusion <10,0 g/dL). (En effet, les patients du groupe restrictif de l’essai, qui étaient moins malades et âgés de moins de 55 ans, présentaient un taux de mortalité inférieur à celui des patients transfusés de manière libérale.15 A ce jour, il n’existe aucun essai contrôlé randomisé en milieu hospitalier qui évalue les résultats des patients anémiques non hospitalisés.
Ces preuves ont créé un consensus croissant selon lequel une utilisation restrictive du sang entraîne de meilleurs résultats pour les patients. Chez les patients sans maladie cardiovasculaire, les preuves suggèrent que la plupart des patients tolèrent un taux d’hémoglobine de 7,0 g/dL.5
Patients cardiaques
Les preuves expérimentales et cliniques suggèrent que les patients atteints de maladie cardiovasculaire tolèrent moins l’anémie. Les patients atteints de maladie coronarienne sont plus susceptibles d’avoir des résultats défavorables que ceux qui n’en ont pas, s’ils ne reçoivent pas de transfusion de globules rouges11,16.
Figure 2 : Association entre la transfusion sanguine et le risque de complications infectieuses (odds ratio )
Le myocarde a un ratio d’extraction d’oxygène plus élevé par rapport au ratio d’extraction d’oxygène tissulaire, ce qui le rend plus sensible à l’anémie17,18. La présence d’une maladie cardiaque peut nécessiter un seuil plus élevé pour transfuser du sang ; cependant, le seuil précis recommandé reste controversé. Une stratégie restrictive de transfusion de globules rouges (maintien de l’hémoglobine entre 7,0 g/dL et 9,0 g/dL) semble être sûre chez la plupart des patients gravement malades atteints de maladie cardiovasculaire.14
Les données sont plus contradictoires pour les patients atteints d’un syndrome coronarien aigu (SCA). Certaines études ont trouvé une augmentation de la mortalité et une autre a conclu que le SCA diminuait avec l’utilisation de globules rouges.19-21 Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer quand les globules rouges doivent être administrés aux patients atteints de maladie coronarienne.
Saignement gastro-intestinal
La décision de transfuser pour un saignement gastro-intestinal (GI) prend en compte le site et l’étiologie du saignement, la disponibilité des traitements et le risque de saignement continu. Une fois la perte de sang contrôlée, il faut décider comment traiter l’anémie. Actuellement, aucune étude n’a examiné les résultats des patients qui ont reçu ou non du sang pour une hémorragie gastro-intestinale aiguë ou chronique.
De plus, aucune étude n’a été menée pour délimiter quand transfuser les patients ayant une perte de sang gastro-intestinale chronique. Des études sur les patients présentant un saignement GI aigu et une maladie cardiovasculaire ont montré une augmentation de la mortalité, mais on ne sait pas si l’utilisation de déclencheurs de transfusion spécifiques affecte les résultats dans ce groupe.
Figure 3 : Estimations Kaplan-Meier de la survie dans les 30 jours suivant l’admission aux soins intensifs dans les groupes à stratégie restrictive et à stratégie libérale
Chez les patients présentant une hémorragie GI, les experts estiment que l’utilisation des globules rouges doit être guidée par les preuves disponibles. Pour les patients sans maladie cardiaque, la transfusion de globules rouges est rarement nécessaire après un traitement définitif et l’arrêt des pertes sanguines, sauf si l’hémoglobine est <7,0 g/dL.22
Retour au cas
Le patient décrit dans notre cas ne devrait pas être transfusé à moins qu’il ne présente des signes cliniques ou des symptômes d’hypoxémie tissulaire. Un bilan approprié de son anémie doit être initié et, si une étiologie est identifiée, un traitement ou une intervention définitive appliquée.
Ligne de fond
À moins qu’il n’y ait des signes cliniques d’hypoxie tissulaire, une anémie symptomatique ou une hémoglobine <7,0 g/dL, la transfusion de globules rouges n’est pas recommandée, sauf si le patient présente un SCA actif ou une maladie coronarienne sous-jacente significative. TH
Le Dr Dressler est directeur de programme associé, professeur adjoint de médecine, division de médecine interne générale, hôpital universitaire Emory, Atlanta. Le Dr VanderEnde est professeur adjoint de médecine, division de médecine interne générale, Emory University Hospital, Atlanta.
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