Bâle II et Bâle III : une approche flexible et sophistiquée de la réglementation bancaire régule-t-elle les incitations des banques ?
Depuis 1998, le CBCB s’est engagé dans un processus de révision de l’Accord sur les fonds propres de 1988 dans le cadre d’une vaste consultation avec le secteur bancaire de 2001 à juin 2004, date à laquelle le nouvel Accord de Bâle sur les fonds propres (Bâle II) a été officiellement publié. La mise en œuvre du nouvel accord a été progressive et probablement trop tardive pour permettre une évaluation éclairée de son efficacité pendant la crise. En janvier 2007, les banques européennes ont appliqué les approches standardisées plus simples et en janvier 2008, les autres ont appliqué les approches plus avancées. Les banques américaines, en revanche, n’ont pas appliqué Bâle II.
Bâle II a introduit une approche de la réglementation et de la surveillance bancaires plus souple, plus sophistiquée et sensible aux risques, qui reflète une réponse aux faiblesses de l’accord de Bâle I et aux progrès rapides et à la complexité des pratiques bancaires et des techniques de gestion des risques. Elle affine considérablement la sensibilité au risque du cadre en évitant les subventions croisées et en exigeant des niveaux de capital plus (moins) élevés pour les emprunteurs à haut risque (à faible risque) en fonction des données sur le risque provenant d’agences de notation externes ou des données des modèles internes des banques. Il permet également de traiter les techniques d’atténuation des risques et la titrisation qui ont été utilisées par les banques au cours des dernières années. En outre, le cadre actualisé fournit des règles pour la divulgation d’informations sur le marché et soutient donc la discipline du marché. Enfin, il offre des orientations sur le contrôle prudentiel des pratiques d’évaluation et de gestion des risques des banques. Les nouveaux aspects introduits par Bâle II s’articulent autour de trois piliers qui se renforcent mutuellement (schématisés dans la figure 39.1) :
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Pilier 1 : exigences minimales de fonds propres
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Pilier 2 : surveillance prudentielle
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Pilier 3 : discipline de marché
Le calcul des fonds propres prudentiels minimaux au titre du premier pilier est basé sur la simple somme des exigences de fonds propres provenant : (1) du risque de crédit, (2) du risque de marché et (3) du risque opérationnel (voir encadré 39.2). Cette approche suppose une nature linéaire et statique du risque, ce qui la rend largement imparfaite et sujette à de sérieuses contestations.
Le ratio de capital sous Bâle II
*Exposition au risque de crédit (mesure révisée) + exposition au risque de marché (mesure inchangée) + exposition au risque opérationnel (mesure explicite ajoutée).
Pour estimer le capital minimum requis, une variété d’approches sont disponibles pour les banques. Celles-ci comprennent l’approche standardisée, dans laquelle les charges de risque sont principalement fournies par des agences de notation de crédit externes et les notations internes basées (IRB) produites en interne par les banques, sont disponibles pour les banques. L’approche standardisée offre une certaine simplicité aux banques qui ne disposent pas des capacités de mesure et de gestion des risques nécessaires pour se qualifier pour les approches avancées. Ces banques s’appuient donc sur les charges de risque fournies par les agences de notation externes pour calculer leurs actifs pondérés en fonction du risque. Cette approche n’incite pas les banques à améliorer leurs systèmes de mesure et de gestion des risques et crée donc une catégorie de banques « de second rang » dont le risque n’est pas géré de manière optimale. Cette approche n’offre une sensibilité partielle au risque que si toutes les entreprises sont notées40 et si leur notation reflète correctement leur profil de risque. Les entreprises non notées devraient être soumises aux mêmes charges de risque que dans l’accord de Bâle I. Par conséquent, on peut s’attendre à ce que les expositions à haut risque soient plus avantageuses en termes de charges de capital lorsqu’elles sont simplement non notées. Dans un scénario extrême, les banques optant pour ce comportement « quelque peu défavorable » seraient enclines à se spécialiser dans les portefeuilles à haut risque. En outre, si leurs modèles d’entreprise coïncident avec le type de modèle « création et distribution », l’impact généralisé sur le marché sera une répétition des turbulences financières de 2007. Cette incitation perverse peut être surmontée en renforçant les incitations à élargir les notations aux entreprises non notées. Du point de vue de la demande, étant donné que les sociétés non notées sont soumises à une pondération de risque inférieure à celle des sociétés notées B et en dessous, l’utilisation de l’approche standardisée peut créer des incitations négatives pour les sociétés à risque qui préfèrent renoncer aux notations pour obtenir des financements moins chers.41 Un tel comportement peut être encouragé par l’émergence de fournisseurs privés de services d’évaluation de notation, qui effectuent des notations confidentielles pour les sociétés sans s’engager à rendre les résultats publics. Cela crée une incitation à faire le tour du marché pour obtenir de meilleures notations.
Similaires à l’approche standardisée, les approches IRB42 distinguent les catégories d’actifs (expositions souveraines, bancaires, d’entreprises43, de détail44 et d’actions) auxquelles s’appliquent différentes fonctions de pondération des risques prudentielles. Si une banque choisit (et est autorisée par l’autorité de surveillance nationale) de créer son propre système de notation (au lieu de dépendre d’agences externes), le capital contre chaque exposition de crédit sera fonction de quatre paramètres de risque de base : la probabilité de défaut45 (PD), la perte en cas de défaut46 (LGD), l’exposition en cas de défaut47 (EAD) et la maturité restante de l’exposition48 (m) du portefeuille de crédit auquel l’exposition appartient. La perte attendue est une simple multiplication de (PD*LGD*EAD). Conjointement avec l’estimation de l’échéance de l’exposition (m) et le coefficient de diversification (rho), ces paramètres de risque sont utilisés pour déterminer le capital dans les modèles de capital économique et de capital réglementaire de Bâle II. Les pondérations de risque et donc les exigences de fonds propres seraient déterminées par la combinaison d’une banque fournissant les données quantitatives et de l’autorité de surveillance fournissant les formules (les fonctions de pondération des risques). Tel que conçu par le CBCB, le traitement du portefeuille de détail est plus favorable que celui des grandes entreprises emprunteuses.49 Il existe deux approches IRB : l’approche de base et l’approche avancée. La différence entre les deux est que dans la première, la banque n’aurait qu’à déterminer la probabilité de défaut de chaque prêt et l’autorité de contrôle fournirait les autres paramètres de risque ; dans la seconde, la banque déterminerait tous les paramètres de risque en interne, sur la base d’estimations et de procédures validées par l’autorité de contrôle. En principe, l’approche IRB de base et l’approche IRB avancée sont toutes deux disponibles pour toutes les catégories d’actifs, à l’exception de la catégorie des particuliers pour laquelle l’approche IRB avancée est disponible. Le choix d’opérer selon l’une ou l’autre des deux approches nécessiterait en théorie de satisfaire à des critères de qualification minimaux basés sur l’exhaustivité et l’intégrité des capacités internes des banques à évaluer les données de risque pertinentes pour chaque approche. Il est important de noter que l’utilisation de modèles bancaires internes pour évaluer les expositions au risque de crédit, bien qu’ils semblent être des outils puissants, peut dans certains cas avoir souffert d’hypothèses trop optimistes. En outre, les banques sont incitées à opérer avec un capital minimum pour satisfaire la contrainte de création de valeur pour les actionnaires. Par conséquent, les modèles internes peuvent être conçus pour satisfaire cette contrainte, ce qui les rend moins fiables pour calculer le capital réglementaire minimum requis.
Bien que Bâle II soit une version améliorée de Bâle I, de nombreuses faiblesses persistent. Celles-ci vont d’une trop grande flexibilité, du déséquilibre et de la faible interaction entre ses piliers50, aux failles dans le traitement de plusieurs aspects techniques, qui seront traités ultérieurement dans Bâle III. Plus important encore, dans son premier pilier, Bâle II s’appuie sur une approche en silo pour l’évaluation et la gestion de trois types de risques (crédit, marché et opérationnel), tout en utilisant une définition imparfaite des fonds propres et des niveaux de fonds propres très bas ; il ne traite pas du tout de la prise de risque excessive, de l’effet de levier et de la gestion des liquidités ; et il s’appuie fortement sur les notations externes des agences de notation qui ont été largement critiquées pendant la crise et sur les modèles internes des banques qui, dans le meilleur des cas, utilisent des hypothèses de risque et de corrélation optimistes pour respecter le capital minimum requis. L’approche de Bâle II constitue peut-être une amélioration par rapport à Bâle I, mais elle n’est pas suffisante pour réglementer les institutions bancaires.
En 2008, au point de basculement de la crise financière, le lobby bancaire le plus puissant, l’Institut de la finance internationale (IIF, 2008), a reconnu la nécessité d’intégrer davantage les systèmes de gestion des risques, en brisant les silos qui peuvent entraîner des problèmes manqués dans les risques de crédit, de marché et opérationnels. De même, dans un autre rapport publié en mars 2008 sur les pratiques de gestion des risques à la suite de la crise financière de 2007, le Senior Supervisors Group51 a reconnu la nécessité de disposer d’une approche globale pour examiner les expositions et les risques à l’échelle de l’entreprise. Dans le même ordre d’idées, le FSF (2008) a souligné l’importance du deuxième pilier pour renforcer les pratiques d’évaluation et de gestion des risques des banques.
La crise financière a poussé les régulateurs internationaux à mettre à niveau leurs outils réglementaires pour aspirer à une meilleure réglementation du secteur bancaire à l’avenir, dans ce qui a été appelé Bâle III. Pour renforcer le cadre des fonds propres à l’échelle mondiale, les régulateurs internationaux réunis au sein du Comité de Bâle ont convenu de relever le minimum et la qualité des instruments de fonds propres afin de garantir qu’ils absorbent pleinement les pertes et n’exposent plus l’argent des contribuables. L’exigence minimale en matière de fonds propres ordinaires passera progressivement de 2 % à 4,5 % jusqu’en janvier 2019. En outre, les banques seront tenues de détenir un volant de conservation des fonds propres de 0,625 % en 2016 à 2,5 % en 2019 pour résister aux futures périodes de stress. Cela portera le total des exigences en matière de fonds propres ordinaires de 3,5 % en 2013 à 7 % en 2019. Quant aux activités de négociation, de produits dérivés et de titrisation, une nouvelle exigence de fonds propres sera introduite à la fin de 2011. Ces exigences de fonds propres seront complétées par un ratio de levier non fondé sur le risque qui servira de soutien aux mesures fondées sur le risque. Un ratio de levier Tier 1 minimum sera testé pendant la période de fonctionnement parallèle. En outre, un ratio de couverture des liquidités (LCR) sera introduit le 1er janvier 2015 et le ratio de financement stable net (NSFR) passera à une norme minimale le 1er janvier 2018.
Malgré les efforts du Comité de Bâle pour améliorer la qualité des fonds propres (clé dans la conception du ratio de fonds propres réglementaires), la prise en compte des ratios de levier et de liquidité pour compléter les exigences de fonds propres minimums sensibles au risque, le Comité de Bâle a succombé une fois de plus à la pression exercée par le secteur bancaire et a opté pour une longue période de transition jusqu’en 2019 pour la mise en œuvre des règles.