Théorie du contrôle

3.2 Tendances prometteuses

La théorie du contrôle fait référence au contrôle social informel, laissant de côté la loi et les autres contrôles formels. Cela ne veut pas dire que ces derniers sont négligés dans la criminologie contemporaine. Au contraire, l’accent est de plus en plus mis sur les contrôles officiels et l’évaluation de leur efficacité. Le renouveau de la théorie de la dissuasion en est un bon exemple. Dans sa formulation classique, l’hypothèse de la dissuasion prévoit que la fréquence des crimes varie inversement à la certitude, à la rapidité et à la sévérité de la punition infligée par l’État. Les chercheurs récents n’ont pas trouvé beaucoup d’effet dissuasif de la sévérité sur la criminalité, mais les taux de criminalité ont tendance à être faibles lorsque la certitude de la sanction (souvent mesurée par le taux d’élucidation par la police) est élevée. Il est également vrai qu’il existe beaucoup plus de preuves d’un effet général de la certitude sur le taux de criminalité (dissuasion générale) que sur le niveau de récidive des délinquants punis (dissuasion spécifique) (Andenaes 1974, Gibbs 1975, Blumstein et al. 1978, Cook 1980, Nagin 1998).

Cependant, il existe d’autres moyens de limiter la criminalité que la dissuasion et les contrôles informels. L’État utilise des moyens non punitifs pour tenir la criminalité à distance, comme les thérapies visant à réhabiliter ou à réformer les délinquants et les mesures de prévention de la criminalité telles que l’éclairage public, la surveillance des zones publiques, le contrôle des armes à feu et les réglementations sur les systèmes antivol des voitures. Dans la société civile, les activités de lutte contre la criminalité sont très courantes. Tout le monde consacre du temps, de l’argent et des efforts à la protection de ses biens contre le vol et à la protection de sa personne contre les agressions. Les gens placent leur argent dans des banques, verrouillent les portes de leur maison, évitent les endroits dangereux ; dans certains cas, ils achètent même des armes à feu pour se protéger. Les entreprises et autres organisations dépensent des sommes considérables pour protéger leurs biens contre la perte ou le crime : Elles engagent des gardes privés, contrôlent l’accès à leurs locaux, utilisent des coffres-forts, installent des systèmes de vidéosurveillance, etc.

Toutes ces actions et précautions – publiques et privées, formelles et informelles, répressives et préventives – visent clairement à réduire la probabilité qu’un crime se produise. En tant que tel, leur objectif commun est le contrôle du crime. Ceci nous amène à une dernière définition : le contrôle social du crime fait référence à tous les moyens visant spécifiquement à réduire la probabilité ou la gravité du crime.

Le lecteur remarquera que le contrôle social est maintenant défini par son intention ou son but, et non par ses résultats. Ce faisant, nous suivons Gibbs (1989, pp. 23-4) qui reproche au concept sociologique de déprécier la qualité intentionnelle du contrôle social. Dans son usage courant, le terme « contrôle » est porteur d’intention : on essaie délibérément de contrôler, de diriger, d’influencer une autre personne. Il existe sans aucun doute des actions qui ont pour effet non intentionnel de prévenir la criminalité. Par exemple, Felson (1998) explique la forte baisse du taux de criminalité à partir de 1994 aux États-Unis par l’avènement d’une société sans argent liquide. Les gens utilisent davantage de cartes de crédit et autres, et ont donc moins d’argent liquide dans leurs poches et chez eux. Ayant moins d’argent liquide à voler, les délinquants deviennent moins actifs. Dans ce cas, nous ne devrions pas parler de contrôle social mais d’un effet préventif involontaire d’une évolution économique.

Les résultats (plus ou moins de crimes) sont des questions importantes mais ne devraient pas être inclus dans la définition du contrôle social. Les tentatives de contrôle social, y compris les échecs, sont du contrôle social. L’impact de ce dernier n’est pas une question de définition mais d’évaluation. En raison de leur focalisation exclusive sur l’évaluation scientifique, Sherman et al. (1998, p. 2) ont choisi une autre voie. Ils définissent la prévention du crime non pas par son intention mais par ses conséquences. Il s’agit de « toute pratique dont il est prouvé qu’elle entraîne une diminution de la criminalité par rapport à ce qui se produirait en son absence »

Si le contrôle social est fait d’actions et de choix intentionnels, est-il possible de concevoir son impact sur les délinquants en termes d’actions et de choix ? Le délinquant potentiel – c’est-à-dire l’individu ayant l’intention de commettre une infraction – peut choisir de le faire en dépit des contrôles sociaux ou de ne pas le faire à cause d’eux. Un tel individu est un décideur agissant sous les contraintes du contrôle social.

L’impact que nous essayons d’avoir sur les délinquants lorsque nous tentons de contrôler la criminalité est essentiellement de : (a) augmenter l’effort de commettre un crime (par exemple, par le durcissement des cibles ou le contrôle des armes à feu) ; (b) augmenter les risques (par la surveillance, la punition, les alarmes anti-effraction, et autres), (c) réduire les récompenses anticipées du crime (par le retrait des cibles, l’identification des biens, etc.), et (d) supprimer les excuses utilisées par les délinquants pour minimiser l’opprobre moral jeté sur le crime (par exemple, par l’établissement de règles et la condamnation publique du crime) (Clarke 1997). Si les délinquants potentiels vivent dans une société bien ordonnée où ces effets sont réalisés, ils se trouveront dans une situation de choix radicalement différente de celle d’une société désorganisée où les contrôles sociaux sont erratiques. La plupart du temps, ils trouveront que commettre un crime est difficile, risqué, peu gratifiant et répréhensible. S’ils sont un minimum rationnels (Cornish et Clarke 1986), ils auront tendance à rechercher des alternatives non criminelles. Cela signifie que, lorsque les contrôles sociaux fonctionnent raisonnablement bien, ils façonnent les alternatives de choix des acteurs sociaux. Ils ferment la plupart des options criminelles pour nous. Ils attachent des utilités assez négatives (au sens économique) aux options criminelles. Pour commettre un crime dans une telle situation, il faut une bonne dose d’avidité, de témérité, de mépris des conséquences à long terme, ou tout simplement de bêtise.

Logiquement, plus un type de crime est grave, plus il devrait être intéressant de le contrôler. En fait, nous constatons que la tutelle est laxiste lorsqu’il s’agit de protéger des valeurs mineures et accrue lorsque des valeurs majeures ou la vie doivent être protégées. Les inspecteurs de police travaillent davantage pour enquêter sur les meurtres que sur les cambriolages. La relation positive entre la gravité du crime et la sévérité de la punition, ainsi qu’entre la gravité du crime et la certitude de la punition sont des faits fondamentaux de la recherche sur la prise de décision pénale (Gottfredson et Gottfredson 1980). Cette pression accrue des contrôles sociaux sur les crimes les plus graves incitera les délinquants à choisir l’option la moins criminelle, l’infraction la moins grave, dans l’éventualité où ils persisteraient dans la criminalité. Cela devrait expliquer la relation inverse que l’on trouve entre la fréquence d’un type de crime et sa gravité (il y a moins de meurtres que de vols, et moins de vols que de cambriolages). Ces pressions sur les choix criminels peuvent être appelées les effets structurants du contrôle social (Cusson 1993).

Cependant, il ne faut pas oublier la leçon tirée par les sociologues et les historiens, montrant que les contrôles sociaux fonctionnent souvent de manière erratique. Les contrôles formels et informels ne sont pas en place là où ils devraient l’être pour un certain nombre de raisons : les groupes sont trop désorganisés, les ressources manquent, les actes ne suivent pas la rhétorique. C’est dire que la qualité et l’intensité du contrôle social ont toutes les raisons d’être très variables dans l’espace et dans le temps. En retour, cette qualité et cette intensité inégales du contrôle social ne devraient pas être sans rapport avec la répartition inégale des taux de criminalité dans l’espace et dans le temps.

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