Cette année marque le 42e anniversaire du Mercredi noir, lorsque le régime d’apartheid a interdit 18 organisations civiques dans une attaque ciblée contre la liberté des médias et la société civile. Beaucoup de ces organisations étaient alignées sur le Mouvement de la Conscience Noire. Le nombre élevé d’organisations interdites par le gouvernement nationaliste témoigne de l’ampleur de l’impact de la Conscience noire en Afrique du Sud.
Les Sud-Africains pensent souvent avec des récits historiques simplistes. Par exemple, le rôle historique de la Black Consciousness (ou BC) est principalement vu dans son défi renouvelé à l’État d’apartheid en inspirant le soulèvement de Soweto du 16 juin 1976. Une appréciation plus complète de son histoire et de son impact transcende ce point de vue plus étroit.
Le métier d’historien a été résumé dans ce qu’on appelle les cinq C de la pensée historique : contexte, complexité, contingence, causalité et changement dans le temps. Les historiens appliquent ces principes pour étudier le passé aussi précisément que possible. C’est ce qu’on appelle aussi le principe de l’historicisme.
En appliquant ces principes, j’ai étudié la société civile sud-africaine à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Alors que cette période a été considérée comme une accalmie dans l’opposition à l’apartheid, un examen plus attentif souligne l’importance des idées, des débats et des mouvements de cette période.
Mon livre, « Conscience noire et mouvements progressistes sous l’apartheid », montre comment les militants se sont inspirés des mouvements mondiaux de changement social dans leurs réponses à l’oppression de l’apartheid dont ils ont débattu, souvent de manière passionnée. Pour comprendre l’histoire de la conscience noire et son impact plus large, nous devons comprendre ce contexte plus large. La Conscience noire a changé les Noirs et les Blancs.
Origines de la Conscience Noire
Premièrement, la Conscience Noire a émergé en même temps qu’un défi chrétien mondial croissant contre l’apartheid. Le Conseil œcuménique des Églises a posé un premier jalon lors de la consultation de Cottesloe (7-14 décembre 1960) en réponse au massacre de Sharpeville du 21 mars 1960. Lors de cette consultation, les églises sud-africaines, y compris les églises afrikaans, ont effectivement rejeté l’apartheid.
La déclaration finale se lit comme suit :
tous les groupes raciaux qui habitent en permanence notre pays… ont un droit égal à apporter leur contribution à l’enrichissement de la vie de leur pays.
Le Conseil œcuménique des Églises se radicalise encore davantage. En 1970, il autorise la première d’une série de subventions financières au Congrès national africain interdit et à d’autres mouvements de libération. L’influence de ce défi chrétien à l’apartheid se fera sentir de nombreuses façons, notamment dans leur soutien financier.
Deuxièmement, mon livre aide à situer la Conscience noire dans la vague de protestations qui s’est répandue dans le monde en 1968. Le sit-in des étudiants blancs qui a eu lieu à l’université du Cap est normalement mis à l’honneur. Mais la protestation des étudiants noirs à l’université de Fort Hare en 1968 a conduit à une mobilisation plus large dans les universités sud-africaines.
Pendant leur sit-in, les étudiants de Fort Hare ont chanté les hymnes « Nkosi Sikelel’ iAfrika » et « We Shall Overcome ». Leur choix a montré comment leur désir de libération nationale et l’influence des Global Sixties ont fusionné. Je montre également comment les radicaux au sein de l’Union nationale des étudiants sud-africains (Nusas), principalement blanche, ont rapidement reconnu la légitimité du défi de la Conscience noire et ont poussé à un changement de la Nusas en conséquence.
Troisièmement, je situe la Conscience noire dans la renaissance du mouvement ouvrier. L’Organisation des étudiants sud-africains avait son siège à Durban au début des années 1970. Cela plaçait les militants de la Conscience noire à proximité de personnes comme le philosophe Richard Turner à l’Université du Natal et son cercle de militants de la Nouvelle Gauche.
Mon livre pointe les limites du binaire dans lequel Biko et Turner ont souvent été coulés.
J’argumente pour leur compréhension commune de l’exploitation économique comme base de l’apartheid. Ils étaient d’accord sur la nécessité d’un changement structurel drastique pour s’attaquer aux maux sociaux de la société sud-africaine, mais ils n’étaient pas d’accord sur la façon d’y parvenir. Mettre en avant la pensée de Biko sur la logique économique de l’apartheid déstabilise le pigeonnier dans lequel il est souvent placé en tant que théoricien de la race.
Quatrièmement, mon livre reconnaît la tension entre la Black Consciousness et le féminisme. Je montre comment les militantes du Black Consciousness Movement se sont appropriées la libération à laquelle leurs camarades masculins prétendaient. Elles ont également pris leurs distances avec le mouvement féministe blanc.
Enfin, mon livre évoque la métaphore des « ondes de choc ». J’utilise ce terme pour décrire l’impact de la Black Consciousness sur des organisations comme Nusas ainsi que l’Institut chrétien. L’Institut chrétien était une organisation œcuménique qui avait été créée par le révérend Beyers Naudé et un petit groupe de membres du clergé réformé néerlandais en août 1963.
Les contacts de Naudé avec Biko et les militants de la Black Consciousness en 1971, ainsi que les conclusions qu’ils ont tirées du projet d’étude sur le christianisme dans la société d’apartheid (Sprocas), ont contribué à changer l’orientation de l’organisation. Le premier signe de ce changement a été lorsque la deuxième phase de Sprocas, a commencé à financer les Black Community Programmes, une organisation de développement communautaire indépendante, gérée par des Noirs.
Il a également établi un White Consciousness Programme qui a reconnu et essayé de traiter le problème du racisme blanc dans la société blanche. Il s’agissait d’expressions organisationnelles du succès des arguments de la conscience noire.
Recouvrement des histoires
Il est vital d’étudier le passé comme « un inventaire des alternatives » comme l’a encouragé l’historien britannique, John Tosh. Bien que l’optimisme de la nation arc-en-ciel post-apartheid se soit évaporé depuis longtemps, l’Afrique du Sud a des histoires importantes et souvent oubliées qui doivent être récupérées. Les frustrations manipulées par les populistes dans le pays, et à travers le monde, doivent être canalisées correctement. Les Sud-Africains doivent se souvenir des efforts organisationnels et idéologiques des filles et fils les plus nobles de leur pays et s’efforcer de suivre leurs traces.