La bataille d’Austerlitz et les principes de la guerre

La bataille d’Austerlitz et les principes de la guerre

Le maréchal Soult donnera l’ordre à trois divisions de prendre place au-delà du ravin à sept heures du matin, de manière à être prêtes à commencer les opérations de la journée, qui doit être une marche au front par échelon, l’aile droite en avant. Le maréchal Soult lui-même, se présentera à l’Empereur à son quartier général à sept heures et demie du matin.(1)
La bataille d’Austerlitz est l’une des plus grandes et des plus étudiées de l’histoire. Mais les grandes batailles sont faites de petites batailles. Cet article est une tentative d’illustrer les huit principes de la guerre, tels qu’ils sont développés et enseignés aujourd’hui par l’armée américaine, à travers l’étude d’une de ces petites.

Le principe de simplicité (Des plans clairs et non compliqués et des ordres clairs et concis pour assurer la compréhension.)

(2) Le maréchal Soult s’est présenté, comme il en avait reçu l’ordre, à l’empereur à son quartier général sur la colline de Zuran. Là, il rencontra les autres commandants – le maréchal Jean-Baptiste Bernadotte commandant le 1er corps ; le maréchal Louis-Nicolas Davout commandant le 3e ; le maréchal Jean Lannes, le 4e ; Joachim Murat, la cavalerie ; le maréchal Jean-Baptiste Bessieres, la Garde ; et le maréchal Berthiér, le chef d’état-major.(3) Lors de cette réunion matinale, Napoléon apporta quelques ajustements au plan qu’il avait élaboré la nuit précédente, dont le plus significatif affecta le 4e corps de Soult. La 3e division commandée par Soult avait été en escarmouche cette nuit-là le long du Goldbach inférieur et était déjà engagée avec l’ennemi. Ce matin, Napoléon confirme le déploiement par Soult de la division Legrand le long du Goldbach inférieur, et lui ordonne de lancer l’attaque initiale en utilisant uniquement ses 1ère et 2ème divisions, commandées respectivement par les généraux Saint-Hilaire et Vandamme. Soult avait fait traverser le Goldbach à ces troupes plus tôt dans la matinée, conformément aux ordres de Berthiér de la veille au soir.(4)
Alors que les autres maréchaux recevaient leurs ordres, saluaient et partaient, Napoléon retenait Soult. Un rapport était arrivé selon lequel les troupes alliées avaient laissé les hauteurs de Pratzen sans défense. Selon le général Thiébault (5), Napoléon demande à Soult : « Combien de temps faut-il à vos troupes pour atteindre le sommet du Pratzen ? ». Soult aurait répondu qu’il ne lui fallait pas plus de vingt minutes (6). Napoléon a répondu : « Très bien. Nous allons attendre encore un quart d’heure. » Quinze minutes plus tard, il dit : « Allez-y. » Soult retourna sur les replats à l’est du Goldbach, où la brume matinale et la fumée des feux de camp cachaient encore les divisions de Saint-Hilaire et de Vandamme.
Le plan de Napoléon était de permettre à l’armée alliée, quelque 86 000 soldats russes et autrichiens servant sous leurs propres monarques, Alexandre Ier et François II, de tenter de le flanquer sur la droite. Ensuite, tandis que le 3e corps de Davout qui avait commencé à arriver sur la droite les tenait, Napoléon attaquerait à son tour la droite et l’arrière des Alliés avec la majeure partie de son armée. La clé du champ de bataille était les hauteurs de Pratzen, le terrain élevé au-dessus du village de Pratze (Prace en tchèque) – une crête d’environ cinq kilomètres qui s’étend au sud-est de Stare Vignohrady (« Vieux vignobles ») (290 mètres d’altitude) par une selle au-dessus du village jusqu’à Pratzenberg (colline de Pratze) (325 mètres). Cette hauteur séparait la zone située au sud de la route Brunn-Austerlitz, qui devait être l’axe d’attaque principal de Napoléon, des villages d’Augezd, Tellnitz et Sokolnitz, qui marquaient la route prévue par les Alliés.
Une grande partie de l’armée alliée, opérant selon un plan proposé par le major général Franz von Weyrother, le chef d’état-major autrichien, avait campé sur et à l’est des hauteurs de Pratzen dans la nuit du 1er au 2 décembre. Organisées en quatre colonnes de la taille d’un corps d’armée sous le commandement général du général russe Mikhail Kutuzov, elles avaient commencé à se déplacer pendant la nuit. A 8 heures, la dernière des trois premières colonnes avait franchi le Pratzeberg et commençait à descendre vers Tellnitz, dans la basse vallée de Goldbach, à quelque trois kilomètres au sud de la division du général Saint-Hilaire.
La deuxième division de Soult, sous les ordres du général Vandamme, se trouvait sur la gauche, massée devant le village de Jirzikowsitz. Sa mission est de dégager l’arête nord-est des hauteurs de Pratzen et de maintenir le contact avec le 1er corps de Bernadotte sur sa gauche. La division du général Saint-Hilaire, forte de 6 800 hommes, est déployée sur un front de trois kilomètres à l’est des villages de Puntowiz et de Kobelnitz. Sa mission était de dégager les hauteurs de Pratzen et de servir de pivot à l’armée.
La division du général Saint-Hilaire était organisée en une garde avancée (7) et deux brigades. L’avant-garde, commandée par le général de brigade Charles Morand, était composée d’un seul régiment à deux bataillons, le 10e Léger (1 500 hommes) sous les ordres du colonel Pierre Pouzet. La 1ère Brigade est commandée par le Général de Brigade Paul Thiébault, un officier plus connu pour son travail d’état-major auprès du Maréchal André Massena que pour son expérience du commandement. Elle était composée des 14e (1700) et 36e (1700) Lignes. Chaque régiment avait deux bataillons sur le terrain. La 2e brigade (3 500), commandée par le général de brigade Louis Varé, était composée des 43e et 55e lignes.

Le principe de l’objectif (Diriger toute opération militaire vers un objectif clairement défini, décisif et réalisable.)

iLe Maréchal Soult/i. Gravé par Tassaert, s.d.8). A cette époque, un bataillon français est composé de neuf compagnies dont l’effectif réel est d’environ 80 à 90 hommes. Une compagnie était organisée comme une compagnie d’élite (voltigeur)(9) pour les escarmouches, tandis que les autres étaient regroupées en divisions de deux compagnies (10). La formation habituelle de manœuvre au combat était une colonne fermée de bataillons de divisions, chaque division étant sur trois rangs à un pas l’un de l’autre ; chaque division étant à trois pas derrière l’autre. Cela donnait un bloc d’hommes d’environ cinquante mètres sur vingt-cinq, avec un front d’environ 50 hommes (11). Dans une colonne régimentaire, le bataillon de tête serait suivi du second à une distance d’environ 50 mètres. Apparemment, Saint-Hilarie et Thiébault ont légèrement modifié les instructions d’ordre de bataille de Napoléon (comme les autres divisions du commandement de Soult), le 10e Léger se déployant en ligne, et la 1re Brigade suivant dans une ligne de régiments en colonne de bataillon (12).

Le principe de l’offensive (Saisir, conserver et exploiter l’initiative.)

iThiébaut/i. Partie d'une série de 100 Généraux, gravée par Bovinet, vers 1830.13)
Thiébault à la tête du 2/14e met en déroute les deux bataillons de Novgorod tandis que le 36e sous le colonel Houdar de Lamotte se déploie en ligne et dans les quatre bataillons russes au sud du village, récupérant les canons, blessant deux généraux russes et en capturant un. Les six bataillons russes en déroute s’enfuient vers le nord-est, désorganisant les cinq bataillons restants de la partie russe de la 4ème Colonne. Le général Kutuzov a tenté de les rallier et a été légèrement blessé par une balle de mousquet tirée par un membre du 36e. Le Tsar, également présent dans cette partie du champ de bataille, envoya son médecin pour l’aider. Koutouzov dit au médecin : « Assurez-lui (le Tsar) que je ne suis pas gravement blessé », puis, montrant du doigt les hauteurs de Pratzen, il s’exclama : « C’est là que nous sommes vraiment blessés. »(14)

Le principe de surprise (Frapper l’ennemi à un moment ou un endroit, ou d’une manière à laquelle il n’est pas préparé.)

Si le premier bataillon du colonel Mazas a été surpris par les tirs russes, cette surprise a été beaucoup moins destructrice, du moins à long terme, que celle qu’a reçue le commandant russe dans cette zone du champ de bataille. Le général Kutuzov, bien qu’ayant le commandement nominal de toute l’armée, était resté avec la 4e (et dernière) colonne. Vers 0800, un officier d’état-major russe, le Major Carl F. Toll, traversant le village de Pratz en avant de la 4ème colonne, observa pour la première fois l’avancée de la division de Saint-Hilaire. Toll revint au galop vers le commandant du co-commandant russe de la colonne, le lieutenant-général Mikhail Miloradovich, qui envoya en avant les seules troupes disponibles – trois faibles bataillons (deux des mousquetaires de Novgorod et un d’Apchéron) totalisant seulement 750 hommes plus quelques hussards et deux canons. Un bataillon est resté en réserve, un autre s’est déployé au sud du village, et le troisième – celui qui a surpris le colonel Mazas – s’est rangé le long de la rive du ravin. Tous ces bataillons sont mis en déroute par la contre-attaque de Thiebault. Dans son compte rendu de la bataille, un officier autrichien décrit l’impact sur le général Koutousov:
Une colonne massive d’infanterie française fut soudainement décrite dans un fond, devant Pratzen. … Le général Koutousoff (Koutuzov), que ce mouvement de l’ennemi avait pris par surprise, (se croyant l’assaillant, et se voyant attaqué au milieu de ses combinaisons et de ses mouvements, sentit toute l’importance de maintenir les hauteurs de Pratzen contre lesquelles les Français se dirigeaient. (…) Ce fut le sommet des hauteurs de Pratzen qui décida du sort de la journée.(15)

Principe de la manœuvre (Placer l’ennemi dans une position désavantageuse par une application souple de la puissance de combat.)

Alors que Thiébault rétablit le flanc gauche de la division, l’infanterie légère de Morand arrive sur la crête du Pratzeberg et subit presque immédiatement l’attaque de la brigade arrière de la 2e colonne alliée sous les ordres du major général russe Sergei Mikhailovich Kamensky. Un embouteillage avait retardé la brigade de Kamensky plus tôt dans la matinée lorsque la cavalerie autrichienne, se trouvant dans une mauvaise position, a simplement coupé la 2ème colonne dans une tentative de retourner à sa position correcte. Kamensky a vu les Français sur le Pratzeberg alors que sa brigade descendait dans la basse vallée de Goldbach. Il fait face à ses troupes et marche avec 4 000
hommes vers le 10e Léger de Morand déployé sur la crête. Kamensky envoie un bataillon sur sa gauche, débordant presque le 10e. Le général Saint-Hilaire, commandant la division, sauve la situation en faisant venir le 1/14e au pas de course de l’arrière où le colonel Mazas l’avait rallié, et le met en ligne à droite du 10e.
Thiébault, ayant dégagé le flanc gauche, fait marcher les trois bataillons encore sous son contrôle direct (1/36e, 2/36e et 1/14e) vers la gauche du 10e. Ce faisant, il aperçut un groupe de troupes se dirigeant vers le Pratzeberg depuis l’est, à sa gauche et à l’arrière. Alors qu’ils se rapprochaient, l’un d’eux a crié : « Ne tirez pas, nous sommes des Bavarois. » Thiébault arrête sa colonne et le général Saint-Hilaire le rejoint. Ils eurent une courte discussion sur la véritable nationalité des troupes. Il s’agit en fait des brigades autrichiennes des généraux-majors Franz Jurczek et Heinrich Rottermund sous les ordres du lieutenant-général Johann Karl Kollowrath, le co-commandant autrichien de la 4e colonne. Thiébault s’avance pour voir de plus près. Il rencontre alors le général Morand, qui s’inquiète également de l’identité de ces nouvelles troupes sur son flanc gauche et à l’arrière. Alors qu’ils tentent d’identifier les nouvelles troupes à travers leurs lorgnettes, ils voient un officier « bavarois » aller au contact d’un officier de la brigade de Kamensky. C’était une preuve suffisante (16).
Thiébault fit monter le 1/36e sur la gauche du 10e pour servir de pivot. Il poste ensuite le 2/36e en ligne face à l’est vers les nouveaux arrivants. A l’extrême gauche de sa ligne, il posta le 2/14 en formation de colonne d’attaque « de manière à avoir une masse que je pourrais opposer, si nécessaire, à ceux qui avancent contre nous et une force avec laquelle je pourrais, sans déranger ma ligne, rencontrer la cavalerie ou d’autres corps qui tenteraient de nous entourer »(17)
C’est ainsi que fut formé le « crochet » – le « crochet », comme l’appelait le général autrichien Karl Stutterheim. La ligne française s’étendait maintenant d’un peu à l’ouest du point culminant du Pratzeberg vers l’est sur environ 800 mètres, puis tournait vers le nord et descendait sur peut-être 800 mètres supplémentaires vers le village de Pratzen, où la ligne était ancrée sur l’église du village. Les bataillons français en ligne avaient besoin d’un front d’environ 200 mètres. Un bataillon en colonne d’assaut (2/14e à gauche) avait besoin d’environ 50 mètres. Même en respectant les intervalles nécessaires entre les bataillons, ils sont à bout de souffle. Mais les bataillons ne restaient pas simplement immobiles – « Les généraux français » a écrit le général Stutterheim, « ont manœuvré leurs troupes avec cette habileté qui est le résultat d’un œil militaire, et de l’expérience, profitant des inégalités de terrain pour couvrir leurs troupes du feu, et pour dissimuler leurs mouvements. »(18)

Principe de masse (Concentrer les effets de la puissance de combat à l’endroit et au moment décisifs.)

iVandamme/i. Partie d'une série de 100 généraux, gravée par Bovinet, vers 1830.20).
A l’approche des trois bataillons et des artilleurs de Thiébault totalisant quelque 2 600 hommes se trouvaient 16 bataillons autrichiens forts de plus de 8 000 hommes. Ils n’étaient cependant pas les meilleurs de l’empereur François. Les bataillons autrichiens étaient formés pour la plupart de soldats malsains ou de recrues non entraînées provenant des 6e (dépôt) (21) bataillons de leurs régiments. Thiébault ordonne à ses hommes de tirer sur les ceintures à croix blanche des Autrichiens. Lorsque les Autrichiens s’approchèrent à une distance de quarante mètres, l’infanterie qui masquait les canons se replia. Thiébault écrit :
Leur feu (les canons) rivalisait avec celui de ma ligne, qui était la meilleure infanterie du monde pour tenir ferme, viser droit et renverser l’ennemi avec un sang-froid parfait. … J’ai vu chaque balle faire de grands trous carrés dans ces régiments jusqu’à ce qu’ils se retirent en masse volante de l’attaque de mes trois bataillons. Je n’avais pas perdu un seul homme…(22)
Alors que les trois bataillons de Thiébault se préparaient à recevoir les Autrichiens, la brigade de Kamensky repoussait lentement les hommes de Morand sur la colline – l’infanterie française tirant à la volée tandis que les artilleurs maniaient leurs canons à l’arrière. Mais alors que les Autrichiens sur la gauche se brisent et s’enfuient, l’attaque russe ralentit également. « L’ardeur de cette attaque s’évapora bientôt… l’ennemi, et sa constance, la changea bientôt en un rythme lent et incertain accompagné d’un feu mal dirigé de
mousqueterie. »(23)
Maintenant, la charnière d’Austerlitz pivota, et la porte commença à se fermer sur les Alliés dans la basse vallée de Goldbach. Thiébault fait pivoter ses troupes sur la droite pour faire face au sud, s’alignant sur les hommes de Morand. Puis, les six bataillons avancent sur la pente du Pratzberg, repoussant les troupes de Kamensky sur la pente vers le sud et capturant trois de ses canons et deux drapeaux (24).

Le principe de l’unité de commandement (Pour chaque objet, assurer l’unité d’effort sous un commandant responsable.)

Pendant une brève accalmie dans les combats, les trois généraux sur le Pratezberg regardent autour d’eux pour trouver du soutien. Aucun n’était apparent. A part l’arrivée opportune des canons de Fontenay, rien n’avait été entendu d’un quartier général supérieur.
Nous n’avions de nouvelles ni du quartier général impérial ni du maréchal Soult, et c’est avec une certaine inquiétude que nous avions acquis la conviction de notre isolement. Nous tenions les hauteurs, mais nous n’avions pas fini d’avoir à les défendre (25).
Si les Français avaient des problèmes de commandement, les leurs n’étaient rien comparés à ceux des Alliés. Trois commandants de brigade avaient été blessés. Les co-commandants de la 4e colonne alliée (Kollowrath et Miloradovich) avaient été vaincus en combattant individuellement et sans coordination efficace. La brigade de Kamensky se battait indépendamment de son quartier général supérieur (la division de Prschibitschewski), et les autres unités de la 3e colonne alliée subissaient la pression croissante du corps de Davout qui arrivait sur la droite française. Même le haut commandement de l’armée alliée est fragmenté. Le Tsar Alexandre, qui avait initialement pris son poste au sommet du Stare Vihonhrady, avait été emporté par les Russes qui battaient en retraite après leur défaite au village de Pratze. Le général Kutuzov, saignant de sa blessure à la tête et incapable de rallier les Russes, s’était déplacé pour rejoindre d’abord les forces de Kollowrath et, finalement, la brigade de Kamensky. À la fin de la journée, il avoua  » qu’il ne pouvait pas rendre compte de la conduite de ses officiers ‘puisque l’endroit où je me trouvais ce jour-là ne me permettait pas de voir en personne ce qui se passait ailleurs sur le terrain’. » (26)
Malgré la destruction infligée aux troupes autrichiennes de la 4e colonne de Kollowrath et la répulsion de la brigade de Kamensky, les officiers russes et autrichiens, dont Koutouzov et le général Weyrother, rallient ces régiments et lancent une nouvelle attaque désespérée sur la colline, attaquant sur un large front le long du versant sud. Lentement, les Français sont repoussés vers la crête. Alors qu’ils atteignent la crête, il y a une autre pause, et le général Saint-Hilaire appelle Thiébault et Morand, et propose que la division se retire vers une position plus défendable. Les trois officiers se tenaient derrière le colonel Pierre Pouzet du 10e Léger d’infanterie, qui les a entendus. Le colonel Pouzet s’est tourné vers le groupe et a dit :
Retrait, général ? Si nous faisons un pas de plus vers l’arrière, nous sommes fichus. Il n’y a qu’un moyen de s’en sortir avec honneur, c’est de baisser la tête et de foncer sur tout ce qui est devant nous et, surtout, de ne pas laisser à l’ennemi le temps de compter nos mousquets (27).
Les commandants retournèrent à leurs unités, et pendant la demi-heure suivante, la bataille pour la crête fit rage. Thiébault a eu deux chevaux abattus sous ses pieds. Le colonel Mazas de la 14e ligne est tué, ainsi que l’aide de Thiébault. Le colonel de Lamotte de la 36e Ligne et le général Saint-Hilaire, commandant de la division, furent blessés.
C’est à ce moment qu’apparut enfin un représentant d’un état-major supérieur. Il s’agit du colonel Alexandre de Girardin, aide de camp du maréchal Berthiér, le chef d’état-major. Bien que la tâche de Girardin consistait simplement à déterminer la situation et l’état de la division de Saint-Hilaire et à retourner au quartier général, il resta, « chevauchant sans cesse d’un bout à l’autre de nos lignes, poussant les sacs à dos des hommes, comme on peut dire, il apporta une aide puissante pour les soutenir et les encourager… »(28)
L’attaque alliée vacilla et se replia. Les Français avancent dans un dernier effort, les repoussent au sud-est, capturent trois autres canons et deux drapeaux, et les poursuivent à coups de canon. Le général Saint-Hilaire part à l’arrière pour faire panser sa blessure, et Thiébault devient le commandant de division par intérim.

Le principe d’économie de force (Allouer le minimum de puissance combative essentielle aux efforts secondaires.)

La véritable économie de force réalisée à Austerlitz est la décision de Napoléon de défendre initialement le Goldbach inférieur, de Koblenitz à Tellnitz (une distance d’environ trois kilomètres), avec la troisième division de Legrand, finement répartie, du 4e corps de Soult. Les renforts à marche forcée – les éléments de tête de la division du Général de Division Victor Friant du 3ème Corps de Davout – commencent à arriver à 0600, à peu près au même moment où Kienmayer, à la tête de l’avant-garde de la 1ère Colonne Alliée, ouvre la bataille en attaquant l’unique régiment de Legrand, le 3ème Ligne, qui tient garnison à Tellnitz. La montée en puissance de Davout se poursuit jusqu’à 13 heures, heure à laquelle, avec Soult, il lance l’assaut final contre les Alliés.
Sur le Pratzberg, la charnière de Thiébault continue de pivoter vers le sud et l’ouest. Alors que sa force fait face à l’ouest depuis les hauteurs, il est rejoint par la 3e brigade du général de brigade Victor Levasseur de la 3e division de Legrand qui descend le Goldbach depuis l’aval de Kobelinz. À ce stade, la brigade de Levasseur était l’une des rares brigades de l’armée qui n’avait pas été engagée. Thiébault place cette brigade à la droite de la sienne, avec la 10e Léger Infanterie de Morand à sa gauche. À peu près au même moment, le général Saint-Hilaire revint avec de nouveaux ordres,
et la 2e brigade de la division Saint-Hiliare, absente depuis longtemps, arriva sur le flanc droit de la division Vandamme qui avait franchi la Stare Vinohrady, achevé la déroute de la 4e colonne alliée de Kollowrath, puis s’était retournée vers le sud pour rejoindre Saint-Hilaire.
Les nouveaux ordres de Saint-Hilaire étaient d’avancer hors du Pratzeberg, maintenant occupé par la division de Vandamme et de descendre derrière les Russes et d’attaquer le village de Sokolnitz et le château de Sokolnitz. Le château, à quelques centaines de mètres au nord du village, n’était pas vraiment un château, mais plutôt un grand complexe, avec un château et un enchevêtrement de ruelles, d’écuries, de granges massives à cinq étages, et un grand jardin clos appelé la « faisanderie ». Les Russes étaient ici tournés vers l’ouest, se défendant contre une attaque de la division du général Friant du 3ème corps de Davout venant de l’autre côté du Goldbach. Soudain, ils furent encerclés.
La brigade de Levasseur attaqua à travers la faisanderie et les champs au nord de celle-ci. Thiébault, à la tête de la 36e Ligne et des restes de la 14e, s’enfonce derrière les Russes qui attaquent le complexe du château tandis que la 10e Léger attaque entre le château et le village de Sokolnitz. La fumée et le bruit étaient maintenant écrasants, et dans la confusion, l’organisation supérieure commençait à disparaître alors que les troupes françaises fonçaient vers l’arrivée. Encerclés, les Russes se sont battus âprement:
« Ceux (les Russes) qui gardaient la maison et ses dépendances ont fait une défense désespérée. Avenues, écuries, granges – tout leur servait d’abri, et partout ils se sont battus jusqu’à la dernière extrémité. Un grand massacre eut lieu. »(29)
Après avoir nettoyé la zone du château, Thiébault tentait de réaligner ses troupes avec celles de Morand et Levasseur lorsqu’il vit un groupe de ses hommes tirer à distance sur des canons russes. Il a trouvé un sous-lieutenant et lui a ordonné de former les hommes. Il a ensuite cherché un officier pour mener une attaque contre les canons. « Je ne voyais pas de capitaine – les officiers se faisaient rares… »(30) Comme il fallait faire taire les canons avant de pouvoir faire avancer la brigade, Thiébault décida de le faire lui-même. À la tête de son petit groupe, il s’approche à moins de 30 mètres des canons lorsqu’ils tirent. Thiébault tombe, blessé à l’épaule et au bras par la mitraille. Le sous-lieutenant et vingt hommes sont tués. Les autres envahissent les canons. La bataille est terminée pour le général Thiébault. Trente minutes plus tard, elle était terminée pour tout le monde.
Pour la première brigade, la victoire avait été coûteuse. Le commandant de la brigade avait été blessé. Un commandant de régiment était mort, l’autre blessé, et, au total, les deux tiers des officiers des deux régiments étaient des victimes. Sur les 3 307 soldats présents le 7 novembre 1805, la brigade a perdu 842 tués et blessés. Sur le reste de la 1ère division, l’avant-garde a perdu 350, et la 2ème brigade 643 (31).
Aucune action ou unité unique n’a « gagné » la bataille d’Austerlitz. L’action retardatrice obstinée de Legrande autour de Tellnitz ; l’arrivée opportune du 3e corps de Davout ; la charge de la cavalerie de la Garde impériale qui a vaincu la cavalerie de la Garde russe au centre ; la défaite du 5e corps de Lannes face à Bagration à Santon Hill et Bosnitz – tous ont été critiques. Mais, selon les mots d’un commentateur de la bataille : « Le moment décisif de la journée … cet honneur revient à l’action sur le Pratzeberg « 32 – L’action du 10e Léger le long de la crête, et de la 1re Brigade, 1re Division, 4e Corps, qui a mangé le « crochet » – la charnière sur laquelle la ligne de bataille française a tourné.
Et enfin, il est utile d’évaluer les principes de la guerre par rapport à ce qui était, en fait, des opérations tactiques de la plus petite unité pouvant effectuer des manœuvres articulées – la brigade de deux à quatre bataillons. Bien que les bataillons individuels puissent se déployer et se (re)déployer à partir de divers types de colonnes en ligne et inversement, ces manœuvres restent l’expression d’une simple tactique linéaire. La brigade était la plus petite unité dont les éléments constitutifs pouvaient manœuvrer indépendamment. Bien que certains de ces principes aient certainement été plus pertinents que d’autres (l’exercice de « l’économie de force » par Napoléon a causé un résultat pour la brigade de Thiébault et la division de Saint-Hilaire), ce récit démontre que les principes de la guerre peuvent être identifiés et l’impact de leur application apprécié dans les actions d’une seule brigade – dans ce cas, la 1ère brigade de la 1ère division du 4ème corps français le 2 décembre 1805.

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